Plume, Pierrot et moi

La véritable histoire de la Sainte-Trinité
Pierre Doc Landry, Septentrion

Ce curieux Docteur Landry — dans le sens empreint de curiosité, pour notre plus grand bien — n’en est pas à ses premières armes. Et l’arme en question n’est pas un bistouri — Belzébuth nous en préserve —, mais bien sa plume, ou disons plutôt son clavier. Qu’il manie plus que bien.

Plume, Pierrot et moi est le 13e ouvrage de Pierre Landry, résidant du Bas-Saint-Laurent de longue date et collaborateur depuis plus de 25 ans du Mouton NOIR. Et c’est fort probablement celui des 13 qui cartonne le plus. Et pour cause. Versant souvent dans les récits historiques régionaux, Pierre Doc Landry, l’un des tiers du mythique groupe La Sainte-Trinité, qui a écumé la scène musicale underground — et overground — du Québec, de Percé à Montréal, à l’aube des années 1970, signe ici un livre qui nous entraîne, avec moults détails, dans les sillons d’une période cruciale de l’émancipation culturelle et politique de notre demi-pays (comme dit Jean-François Nadeau) et, plus globalement, de la jeunesse de partout dans le monde où cela pouvait se faire.

« C’est un lieu commun, de l’histoire contemporaine et de la sociologie que de caractériser les années 60 par l’éclatement du « phénomène jeunesse », c’est-à-dire la montée, dans l’ensemble de l’Occident, de cette nouvelle génération, dont la présence tapageuse ébranle les structures les mieux établies et dont l’esprit, les mœurs et les attentes provoquent la révision
ou le déclin des codes et des traditions les mieux ancrés.
Époque charnière, époque à la fois étrange et miraculeuse,cette décennie a pris avec le temps l’aspect d’une véritable épopée.
 »

François Ricard, La Génération lyrique,
cité par Pierre Doc Landry en ouverture de son livre

 La Sainte-Trinité, née d’une rencontre fortuite à Percé à l’été 1970, c’était Plume Latraverse, alias Dieu la Mère, Pierre Docteur Landry, alias Dieu le Vice, et Pierrot Léger, également appelé Pierrot-le-fou, dit Dieu le Sain d’esprit.

Mais Plume, Pierrot et moi, c’est bien plus que l’histoire de la Sainte-Trinité. C’est un véritable portrait d’époque, parsemé de photographies et d’archives, qui ravivera la mémoire de celles et ceux qui l’ont vécue et qui les ravira, je n’en doute aucunement. Il « instruira » aussi les plus jeunes, férus d’histoire — dont celle dite « sexe, drogue et rock’n’roll » —, qui aiment savoir d’où ils viennent pour mieux voir où ils vont.

Sous forme autobiographique, pour sûr flyée, souvent drôle, parfois touchante — notamment, cette carte postale envoyée de Grèce par son avocat de père, attristé par les dérives de son rejeton [1], qui débute ainsi : « Ici, les ruines sont superbes. Et toi, comment vas-tu ? » — Doc Landry livre le récit des folles tribulations de la Sainte-Trinité, en les mettant en parallèle avec des événements-phares de notre société, dont certains, survenus plus tôt, avaient sans aucun doute nourri le caractère réactif du groupe, comme ceux-ci, de 1968 à 1970 :

  • Le lancement du livre-pamphlet Nègres blancs d’Amérique, de Pierre Vallières;
  • Le spectacle Poèmes et Chants de la Résistance, au bénéfice de ce même Vallières et de Charles Gagnon, felquistes emprisonnés à New York, qui réunissait entre autres sur scène les Vigneault, Miron, Gauvreau, Duguay et Michèle Lalonde (deux ans avant la première lecture de son magistral Speak White, lors de la Nuit de la Poésie 1970, au Gésu;
  • Le Lundi de la matraque, à la Saint-Jean, où le fendant Pierre Elliott Trudeau regardait du haut de la tribune « d’honneur » les émeutes qui provoqueront 292 arrestations et feront plus de 135 blessé-es, la plupart par les policiers à cheval qui chargeaient la foule, matraque en main.
  • En 1969, la Maison du pêcheur, à Percé, et l’expulsion sauvage avec les boyaux des pompiers par des rednecks locaux; le Doc Landry en a pris plein la gueule, comme la cinquantaine de jeunes sur place.
  • L’incontournable Crise d’Octobre 1970, avec, comme principaux commettants, les « tenanciers » et compagnons d’expulsion de l’été de Percé, les frères Paul et Jacques Rose et Francis Simard, qui avaient enlevé le ministre de « l’Assimilation et du Chômage », Pierre Laporte, et seraient ensuite emprisonnés pour leur responsabilité dans la mort de ce dernier. Et bien sûr, l’immonde loi sur les mesures de guerre, venue d’un autre trio, bien plus lugubre; Drapeau, Bourassa et Trudeau!

À cette époque, la Sainte-Trinité performait presque tous les soirs à L’Imprévu de l’hôtel Jacques-Cartier, dans le Vieux Montréal, souvent devant quelques policiers de la GRC en civil, qu’ils saluaient gaiement en début de spectacle. Le groupe était surnommé la Cellule Divertissement. Puis, ils déménageraient leurs pénates — et leur mascotte, la poule Rita Picard — au sous-sol de l’hôtel, dans une discothèque fermée depuis deux ans, la Lunathèque, convertie en cabaret uniquement dédié à la Sainte-Trinité : Chez Dieu.

Pitou Pitou Pitou Pitou_ou Waa
Minou Minou Minou Minou_ou Waa!
Bonsoir, mesdames, mesdemoiselles et mes cieux,
Mangez d’la marde et bienvenue chez Dieu
Sortez vot’grass, on va s’faire un party organisé
Par la Sain_te-Trinité »


[1] On eut souhaité que le paternel ait une vision prémonitoire de ce que ferait fiston Doc bien après ses expériences de jeunesse; maîtrise en littérature, directeur d’un journal d’opinion, directeur d’un musée, président de la Société des musées québécois et auteur de plus d’une dizaine d’ouvrages. Mais il faut dire que le père gardait espoir comme en font foi ces mots : « Sûrement, il doit exister un peu d’ambition saine dans cet être irremplaçable que tu es. »