Musique et mots pour la tête et le coeur

Comme j’occupe maintenant un emploi à temps plein, j’ai beaucoup moins de temps à consacrer à mon blogue. Mais… un texte paru plusieurs semaines avant la dernière élection fédérale, ça commence quand même à faire, comme on dit…

Je reproduis donc ici deux critiques parues dans le journal Le Mouton NOIR dans les dernières semaines. La première parle d’un magnifique disque de jazz, GLORIA, du guitariste et compositeur montréalais Sylvain Picard et la seconde porte sur le recueil des « Chroniques d’un faux docteur de campagne » écrites par Pierre «Docteur» Landry, parues dans Le Mouton NOIR de 1999 à 2015,

Je vous souhaite beaucoup de bonheur à écouter et lire ces deux belles oeuvres.

GLORIA

Sylvain Picard
Note Musik

Sylvain Picard est l’un des secrets les mieux gardés du jazz au Québec. Et comme le jazz au Québec relève parfois lui-même du secret, notre type, guitariste compositeur de son état, commence à être difficile à tracer. Bien sûr, la présence d’un bon et grand festival de jazz en cette cité — dite du bonheur — de Rimouski pourrait aider à la découverte, mais… pas t’encore. Mèche allumée.

J’ai connu Sylvain Picard par l’album de son trio, Airs à faire frire, librement inspiré de la suite Airs à faire fuir d’Érik Satie et saluant tout autant son professeur de kung fu que Saint-Exupéry et les réalisateurs de films expérimentaux. Une belle trouvaille qui rappelait au vieux rocker que je suis une certaine époque de King Crimson mais aussi la musique bigarrée dite « jazz blanc » des Terje Rypdal et autres Abercrombie de l’écurie ECM.

Sa dernière œuvre, Gloria, a été produite par Note Musik, de Rimouski. La composition et l’enregistrement —impeccable! — de Gloria découle d’une commande de « messe jazz de rite catholique romain » reçue de l’église Gésu, qui est aussi une salle de production culturelle, de Montréal. Mais attention, ce n’est pas un disque pour grenouilles de bénitier et les amateurs de belle musique, mécréants compris, y trouveront leur compte. C’est un album concept défini par son compositeur comme « une suite jazz luxuriante de 10 films pour l’oreille joués par quatre musiciens complices ». Outre Sylvain Picard à la guitare et à la composition, les autres célébrants — ceci était ma dernière allusion cléricale  — sont Yannick Rieu aux saxophones, Maxime St-Pierre à la trompette et au flügelhorn et Guy Boisvert à la contrebasse. Belle brochette!

Oui, les titres réfèrent à une messe : Kyrie, Agnus Dei, Offertoire, Psaume, Action de Grâce, etc. mais j’oserais dire que ce sont là les seules référence à l’église. Dans le livret, Sylvain Picard parle de l’une de ses intentions de création — pour la pièce Alléluia — : dépeindre musicalement l’émotion vivifiante que l’on ressent en contemplant les jeux d’ombre et de lumière dans les feuilles, les fleurs et les fruits d’un arbre luxuriant.

Ça coule, ça transporte, ça touche, ça atteint son but. Nous sommes avec Gloria en contact intime avec une grande œuvre musicale, recherchée et très inspirée. C’est d’ailleurs probablement dans ce dernier qualificatif que réside sa connotation la plus spirituelle.

CHRONIQUES D’UN FAUX DOCTEUR DE CAMPAGNE

Le Mouton NOIR 1999-2015

Pierre Landry
Éditions Trois Pistoles

Ce recueil des Chroniques d’un faux docteur de campagne, de Pierre « Docteur » Landry, édité par Les Éditions Trois-Pistoles, a été lancé au début novembre 2015, en plein Salon du livre de Rimouski, dans une indifférence quasi-généralisée. Même le journal que vous avez entre les mains, qui les publie depuis 16 ans, n’en a pas parlé. Et pourtant. Non seulement celui qui est maintenant le vénérable et invétéré vétéran des pages du Mouton NOIR méritait un bien meilleur traitement — il a aussi publié un essai-anthologie de 400 pages sur ledit journal en 2005 et assumé la rédaction en chef par intérim à deux reprises —, mais son recueil est en soi un petit bijou. Mais nul n’est prophète dans son pays, dans sa région ou sa campagne. Alors voici donc — vieux motard que jamais — la recension de ce juteux ouvrage, qui ramène à la surface, pour notre plus grand plaisir, 16 années de chroniques ludiques, cyniques et mordantes, mais aussi d’une grande qualité littéraire.

Ce qui est particulièrement intéressant et agréable avec ce recueil, c’est qu’on peut l’ouvrir au hasard à n’importe quelle page et, après un petit ajustement d’une ou deux pages pour partir au début d’une chronique, on se tape un voyage dans le temps dans ce qui était l’actualité sociale, culturelle et politique de 1999, 2007, 2003, 2011, tout dépendant où vous posez le doigt. Des chroniques qu’on peut lire à la volée, quoi. De belles relectures pour ceux qui, comme moi, lisent assidument les chroniques du docteur depuis 16 ans et de belles découvertes pour ceux qui ne le font que depuis peu ou qui le feront désormais, suite à la dégustation qu’ils feront de ce livre.

Pour la petite histoire, disons que le Docteur Landry a vu pleuvoir — et neiger et grêler et… vous pouvez ajouter ici ce que vous voulez. Il sévissait jadis en tant que tiers de la Sainte-Trinité, que complétaient Plume Latraverse et Pierrot Léger. Après l’obtention d’une maîtrise en études littéraires à l’UQAM, Pierre Landry a posé ses pénates avec sa douce à Saint-Alexandre-de-Kamouraska où il a fait — et fait toujours — mille métiers : pépiniériste, marchand d’antiquités, « rédocteur »-en-chef, auteur, bien sûr, mais aussi pendant quelques années, directeur du Musée du Bas-Saint-Laurent de Rivière-du-Loup.

Voici ce que notre cher Boucar Diouf dit de Pierre Landry et de ses chroniques : « Ce docteur est un mouton noir parmi les médecins. Un des rares soignants à demander haut et fort à ses compagnons de refuser d’avaler passivement la pilule que les décideurs politiques et autres groupes d’intérêt proposent pour faire accepter l’innaceptable. Ses prescriptions sont une mine d’or pour tous ceux qui cherchent à élargir leur vision (…).

Voilà, à vous maintenant de goûter à la médecine du Docteur Landry, pour le plus grand bien de votre santé mentale.

Jacques Bérubé

jacques.hugb@gmail.com

Schizophrénie électorale

Dilemme : l’éviction ou les convictions
L’élection fédérale du 19 octobre 2015 donne du fil à retordre aux Québécois. Alors que dans le reste du Canada — ou ROC —, le vote se fera selon les même critères de choix que d’habitude, ici, au Québec, ce vote devra se faire pour plusieurs au terme d’une longue lutte intérieure entre les convictions et le désir de voir le réactionnaire en chef Stephen Harper et ses dinosaures bitumineux être envoyés aux oubliettes.

Au Québec, en temps d’élection plus particulièrement, la sempiternelle question de l’indépendance nationale provoque des débats entre amis, en famille, dans les médias et, phénomène plus récent mais bien en place, dans les réseaux sociaux. Mais dans cette élection, ladite question nationale est à la base de réflexions un brin schizophréniques qui font parfois virer les débats en foire d’empoigne.

La conquête, les patriotes, la lutte contre les conscriptions des deux guerres mondiales, la naissance et la montée du mouvement indépendantiste, le Front de libération du Québec, la loi sur les mesures du guerre, deux référendums, la non-signature d’une constitution rapatriée; ne l’ébruitons pas, mais l’histoire du Canada repose un peu beaucoup sur celle du Québec. Et cette histoire fait en sorte que les Québécois sont, de façon générale, plus intéressés à la politique que les Canadiens du ROC.

Le Bloc II ou The return of the son of
Le retour inattendu de Gilles Duceppe comme chef du Bloc québécois a semblé brouiller les cartes au début de l’été, mais la tendance lourde qui menace la survie même de ce parti semble être revenue aussi vite, si l’on se fie aux derniers sondages, qui placent le NPD largement en avance au Québec. (voir note en fin d’article). On se demande ouvertement comment le Bloc peut croire que la déconfiture à l’élection de 2011 — passé de 49 à quatre élus et perte de près de la moitié de sa base électorale traditionnelle — n’a été qu’une erreur de parcours et que les électeurs reviendront au bercail sans même que le parti n’ait fait une réflexion profonde sur ses objectifs et sur sa pertinence. Et nul n’en doute, une deuxième collision dans le mur sera fatale au Bloc.

La défaite du parti indépendantiste dans une élection fédérale sera-t-elle un dur coup pour la cause même de l’indépendance et, par la bande, pour le Parti québécois ? Bien des fédéralistes le croient, l’espèrent et se frottent déjà les mains. Philippe Cafouillard fourbit ses armes. Mais pour plusieurs, dont je suis, l’éventuelle disparition du Bloc pourrait plutôt marquer le signal du grand rassemblement des forces indépendantistes au Québec. Car c’est au Québec et non à Ottawa que se fera l’indépendance.

Un petit bloc dans le grand bloc
Sans tomber dans le cours d’histoire, rappelons que le Bloc québécois a été fondé par le déserteur conservateur Lucien Bouchard en 1991, suite à l’échec de l’accord du Lac Meech, tombé sous les coups de Jarnac des Trudeau père, Chrétien, Clyde Wells et autres libéraux notoires. Deux ans plus tard, en 1993, le parti indépendantiste québécois devenait, avec 54 élus, l’opposition officielle au parlement fédéral. Un vrai vaudeville!

Le Bloc québécois ne devait exister que quelques années, le temps que le Québec se rende à son second référendum en 15 ans et qu’il accède éventuellement à la souveraineté. On connaît la suite : le référendum de 1995 a été perdu par la peau des dents et le Bloc s’est installé à demeure à Ottawa, obtenant de 1993 à 2011 la majorité des 75 sièges au Québec, en réussissant à convaincre les votants, élection après élection, que ses députés seraient toujours les meilleurs défenseurs des intérêts du Québec.

Mais pour plusieurs Québécois, un vote pour le Bloc représentait leur seul geste nationaliste et les justifiait de ne pas aller plus loin pour la cause. Une fois leur x fait dans le petit carré, ils pouvaient s’asseoir sur leur steak ou pire, voter au Québec, qui pour les libéraux, qui pour la CAQ-ADQ — à prononcer à voix haute !

Puis, à l’aube des années 2010, les questions — et remises en question — ont commencées. Est-ce qu’en élisant des députés du Bloc à Ottawa, on ne se retrouvait pas à valider, voire à renforcer ce fédéralisme qu’on contestait en y participant pleinement et en étant ainsi partie intégrante ? Que pouvait réellement faire un parti condamné à l’opposition avec 45, 50 ou même 75 députés dans un parlement en comptant plus de 300 ? Et finalement la question cruciale : la cause de la souveraineté du Québec avait-elle évolué grâce à la présence de députés indépendantistes à Ottawa ? Poser cette question, c’est y répondre.

Le raz-de-marée orange
Et paf — ou plutôt plouf ! — en 2011, une vague orange a submergé le Québec, tanné du Bloc et charmé par le sourire et la bonhommie d’un Jack Layton qui était, sans qu’on le sache, en fin de vie. Cinquante-neuf néo-démocrates, soit plus que le meilleur résultat du Bloc — 54, en 1993 et 2004 — ont été élus au Québec. Certains de ces élus ont d’ailleurs eu la surprise de leur vie, tant ils croyaient n’être candidats que sur papier.

Mais malgré cette vague orange, le parti conservateur de Stephen Harper a pu former un gouvernement majoritaire, en raison de l’appui massif des provinces du ROC. Puis, les quatre du Bloc se sont retrouvés trois, puis deux.

Vote stratégique ou… schizophrénique ?
Aujourd’hui, un grand nombre d’indépendantistes québécois se croient investis du devoir de sauver des griffes d’Harper ce Canada dont ils voudraient tant se séparer… Mais n’est-ce pas vouloir prendre sur ses épaules des responsabilités bien trop grandes pour une carcasse de minoritaire. Pas plus qu’en 2011, un vote massif pour le NPD au Québec ne délogera les conservateurs si le ROC continue de voter pour eux.

Et advenant le cas où le Bloc québécois réussissait à faire élire une vingtaine de députés — ce qui multiplierait par 10 sa représentation à la dissolution du gouvernement — il n’en demeurerait pas moins qu’un tout petit bloc dans le grand bloc canadien.

Schizophrénique, je vous dis!

Le meilleur des pires ?
Comme un premier pas en ce sens a déjà été fait en 2011, le vote pour le NPD de Thomas Tom Mulcair semble être pour plusieurs la voie à suivre. « Mulcair est un ennemi de la souveraineté, il s’est battu contre en 1980 et 1995 », clament des bloquistes. Mauvais argument. Tous les candidats au poste de Premier ministre du Canada le sont et c’est normal, peut-on répondre. L’ADN de Justin Trudeau porte le trademark de celui qui a envoyé l’armée au Québec en 1970 et nul ne sait jusqu’où pourrait aller Harper-le-militariste.

« Mulcair est favorable au projet de pipeline Énergie Est qui passera partout sur le territoire du Québec, avec tout ce que cela comporte comme risques environnementaux, pour apporter le pétrole sale des sables bitumineux albertains jusqu’à un port pétrolier en projet à Belledune, au Nouveau-Brunswick, sur le bord de la Baie-des-Chaleurs. » Voici une vraie de vraie épine au pied du chef néo-démocrate. Son discours au Québec est différent de celui qu’il tient dans l’ouest au sujet de ces projets que rejette la majorité des Québécois. Double langage, double face ?

Autre tache au dossier de Thomas Mulcair : il a flirté avec les conservateurs en 2007 pour devenir conseiller de Stephen Harper et il a candidement voté pour Philippe Couillard, chef du gouvernement de l’austérité, qui fait si mal aux régions. Vous avez dit social-démocrate ?

Voter NPD? Peut-être, mais en sachant bien pour qui et pour quoi l’on vote.

La hargne bleue
Par ailleurs, trop de militants indépendantistes sont des adeptes du Crois ou meurs; hors de notre parcours, point de salut! On peut croire à l’indépendance, mais plus au Bloc. Des indépendantistes comme Roméo Bouchard et Francine Pelletier se font harceler et insulter avec hargne quand ils expriment publiquement leur intention de voter stratégiquement pour le NPD avec l’intention louable de sortir les conservateurs de Harper. La guerre fratricide n’est pas très digne et elle fait plus de tort à l’intérieur des troupes que chez l’adversaire, qui rigole dans sa barbe.

Alors, pour qui on vote..?
Quoi qu’il en soit, qu’il vote bleu Bloc ou orange NPD, le Québec n’aura pas une si grande influence sur le résultat de l’élection. L’argument qui dit que ne pas voter NPD pourrait permettre aux conservateurs de se maintenir au pouvoir ne tient pas la route. Le Québec rejette depuis longtemps déjà ce parti de la droite chrétienne ultra réactionnaire. Sans doute qu’il en restera quelques résidus dans la ville de Québec — pour ma part, une défaite de l’immonde Steven Blainey dans Lévis-Bellechasse serait une première victoire —, mais ce n’est pas ici que se décidera l’éviction ou non d’Harper et ses troupes.

Les conservateurs ont été élus depuis 2006 par le ROC, à eux de les sortir, si c’est vraiment ce qu’il veulent.

Sans vouloir reprendre un slogan d’une dernière campagne, votons avec notre tête ET avec notre cœur.

Ce long article vous a aidé à choisir pour qui voter? J’en suis fort aise, et je vous laisse deviner pour qui je voterai…

Jacques Bérubé

NOTE : Au début octobre 2015, un sondage Léger Marketing-Le Devoir indique une importante remontée du Bloc québécois au détriment du NPD.

« La vague orange qui avait submergé le Québec en mai 2011 est en plein reflux. L’affaire du niqab a littéralement ressuscité le Bloc québécois qui, contre toute attente, est maintenant le choix de 30 % des électeurs francophones, 3 points devant le NPD, qui se retrouve pris sous un feu croisé.»
Michel David, Le Devoir, 3 octobre.

Liberté… Libarté

De Charlie, des poubelles et du Mouton
Jacques Bérubé

JE SUIS CHARLIE.
J’étais Charlie bien avant le 7 janvier 2015; depuis l’après Hara-Kiri, Pilote, depuis Charlie Hebdo, que je lisais régulièrement même si je devais me le procurer « en ville », à Montréal. Je n’ai pas découvert Cabu, Charb, Wolinski, Tignous et Honoré en cette sombre journée où la liberté d’expression a été atteinte en plein cœur. J’ai donc vécu un vrai de vrai deuil. Et en même temps que j’appréciais de voir se lever l’immense mouvement de solidarité provoqué par les attentats, j’ai été dégoûté de voir le criminel de guerre israélien Nethanayou et des dirigeants de pays tels l’Égypte, la Russie, l’Algérie, les Émirats arabes unis et même l’Arabie saoudite, qui a condamné Raif Badawi à 1000 coups de fouet et à 10 ans de prison pour avoir prêché la tolérance chez les islamistes, se pavaner en première ligne de la marche de solidarité pour Charlie et la liberté d’expression, le 11 janvier. Un beau défilé d’hypocrites et d’opportunistes.

« C’est dur d’être aimé par des cons ». Cette phrase au-dessus d’un dessin de Cabu montrant le prophète Mahomet excédé est celle qui a mis le feu aux poudres. Elle ne visait que les intégristes, ces vrais cons qui relèguent la femme au rang d’esclave et qui se croient investis du devoir de tuer ceux qui ne croient pas aux mêmes lubies qu’eux. Mais une partie de la communauté musulmane s’est senti visée. Et pourtant, Charlie tirait dans tous les sens — et continuera de le faire, même sans ses meilleures plumes. Les catholiques, les juifs, les politiciens, de droite comme de gauche, tous y passaient.

Tout récemment, le cardinal-dinosaure Marc Ouellet qui était, il n’y a pas si longtemps, dans la course à la boucane blanche pour devenir pape, condamnait encore et toujours l’avortement, même pour les femmes victimes de viol. Voici un exemple concret de radicalisme et d’intégrisme, catholique celui-là, qui doit être décrié. Est-ce que les catholiques que, majoritairement, nous sommes encore officiellement, se sentiraient offusqués par un dessin d’André-Philippe Côté, de Chapleau ou de Garnotte qui ridiculiserait la pensée obscurantiste du cardinal ? Non. En se disant insultés par les dessins visant leurs fous intégristes, les musulmans ne protègent-ils pas ceux qui, dans les faits, font le plus de torts à leur religion ?

Si ton dieu ne vaut pas une rigolade ou un dessin, il ne vaut pas grand chose.

Par ailleurs, ne sommes-nous pas, collectivement, bien plus menacés par les mesures des Philippe Couillard, Pierre Moreau, Martin Coiteux et compagnie — à but très lucratif! — et des mollassons à la Jean D’Amour, qui assiste au dégât sans mot dire — que par n’importe quel imam obscurantiste et attardé qui débiterait ses âneries intégristes dans une mosquée miteuse de Montréal ?

LIBERTÉ. LIBARTÉ ?
Il y a quelques années, au plus fort de la « crise » du permis de CHOI-FM, dans la Québec profonde des radios poubelles, des milliers de personnes scandaient ou écrivaient « Liberté, j’écris ton nom! » sans même savoir que c’était tiré d’un poème de Paul Éluard. « Éluard? Pour quelle équipe qu’y joue, lui, stie ? ».

Liberté d’expression ou Libarté de défécation verbale ? Où tracer la ligne entre ces deux sphères du monde de l’opinion ? Faut-il seulement en tracer une ? Je suis contre toute censure, mais je ne ferai pas semblant de me battre en citant Voltaire — faussement, d’ailleurs —pour défendre la liberté des fouille-merde et langues sales qui polluent les ondes radio et vomissent sur le papier de journaux déjà jaunes. Par contre, si je fais valoir mon droit d’exprimer haut et fort que des gueulards comme Jeff Fillion ou des démagogues comme la coquerelle de droite Éric Duhaime sont de sinistres cons, je n’ai d’autre choix que de reconnaître — sans le défendre —leur droit d’exprimer leurs conneries et de me trouver con à leur tour.

IL A 20 ANS NOTRE BEAU MOUTON
Le lancement du Mouton NOIR, il y a 20 ans, répondait moins à un besoin de liberté d’expression qu’à celui, pressant, de se donner une véritable tribune de communication. Car les canaux étaient à cette époque singulièrement bouchés. Quiconque fouillerait les archives des hebdos rimouskois de la première demie des années 1990 aurait peine à croire que l’ensemble du milieu culturel et socio-économique de Rimouski appuyait un projet de salle de spectacle au centre-ville, tant les scribes de ces journaux — sauf notre regretté Laurent Leblond — ne présentaient que les positions des opposants au projet, petits potentats locaux et magouilleurs de coulisses. Nous avons changé la donne; nous avons contribué au déblocage de ce projet et nous en avons fait tomber d’autres qui allaient à l’encontre du bien public. Nous avons, comme disait Henri Bourassa en 1910, « satisfait les affligés et affligé les satisfaits ».

Encore aujourd’hui, nous pouvons et devons être fiers de ce journal citoyen.

Bonne fête Mouton. Bonne fête à ceux qui, avec moi comme « directeur de la rédaction et camelot », lui ont donné vie en 1995 : Fernande et Carmen Forest, Pascale Gagnon, Eudore Belzile, Denis Leblond, Roy Hubler, Marie Bélisle, Claude-Philippe Nolin, Alain Huot et les autres.

Bonne suite à ceux qui apportent encore et toujours au pré de quoi nourrir notre ovidé au sourire narquois et qui « enfourchent avec nous le Mouton NOIR vers le champ libre de l’opinion et de l’information » (Le Mouton NOIR, Vol. 1 no 1, mars-avril 1995).

Ne baissons pas les bras et ne renonçons jamais à notre droit à l’indignation.

Salut et MERCI Pierre Foglia

J’ajoute mon grain de sel à la pléiade d’hommages que l’on rend à M. Pierre Foglia, qui a annoncé sa retraite, en cette première semaine du mois de mars 2015. Je reproduis ici la chronique que j’avais écrite en 2002 pour Le Mouton NOIR dans laquelle je parlais de Monsieur Foglia et de l’un de ses auteurs préférés (et à moi aussi), Charles Bukowski.

Coincé dans les bras d’une vie folle. Locked in the arms of a crazy life. C’est le titre d’une biographie de Charles Bukowski signée par Howard Sounes et éditée par Black Sparrow Press. L’an dernier, Pierre Foglia en avait parlé dans l’une de ses chroniques dans laquelle il parlait aussi du Mouton NOIR, «un journal d’humeur du Bas du Fleuve», disait-il. Il disait combien ce livre est excellent et je le réaffirme en ouvrant ici une parenthèse : monsieur Pierre Foglia n’aime pas que ses lecteurs l’appellent familièrement Foglia. Il a bien raison. Ce n’est pas parce que quelqu’un nous touche avec presque toutes ses chroniques qu’il devient pour autant un intime. Qui plus est, on n’appelle généralement pas nos intimes par leur nom de famille. Mais question de taper un peu moins de caractères — il comprendra, il était typographe — convenons dès maintenant qu’il y a un «monsieur» aspiré — et bien senti — à chaque fois que j’écris simplement Foglia. Fermeture de parenthèse et retour à la précitée chronique.

Dans son commentaire sur Locked in the arms of a crazy life, Foglia révélait que Charles Bukowski était l’écrivain qui l’avait le plus influencé pour qu’il veuille faire de son écriture son gagne-pain. Ça m’avait franchement étonné. Parce que Bukowski et Foglia sont aux antipodes l’un de l’autre. Mais rien ne dit que l’on ressemble à ses influences. Et c’est ici fort heureux. Une fois assimilé ce constat, cette révélation a fait se rejoindre deux fils dans ma tête : j’aime énormément l’écriture de Charles Bukowski, mais moi, celui qui m’a le plus influencé à écrire, c’est Pierre Foglia.

Charles Bukowski était un salaud, un gros dégueulasse, un bagarreur — qui ne frappait pas toujours que des hommes — qui était continuellement saoul, saoul dans le genre excessif. Boire, vomir, continuer, avoir mal au bloc, recommencer… De fait, il utilisait beaucoup le terme anglais « hangover ». Il pouvait écrire des saloperies sur ses amis et encore pire sur des gens de son entourage à qui il ne portait pas d’affection particulière. Mais Bukowski écrivait autant qu’il buvait et il le faisait de façon sublime. Charles Bukowski, enfant battu par son père et rejeté par ses proches dès son jeune âge, est devenu l’un des plus grands poètes qu’aient portés les États-Unis profonds. En soi, rien que les titres de ses recueils sont des œuvres : Love Is a Dog from Hell, Playing the Piano Drunk/ Like a Percussion Instrument/ Until the Fingers Begin to Bleed a Bit, The Last Nights of the Earth Poems. Assis dans son antre à écriture devant sa vieille dactylo et son cendrier plein, il transposait son univers sale et médiocre dans une poésie extraordinaire. Pas une poésie à rimettes, une poésie qui pue, qui sue, qui se promène le fond de culotte à mi-cuisse et la bedaine de bière à l’air. Une poésie vivante qui regorge d’images, de richesse et de vie, si sale soit-elle.

Bukowski, quand il connut le succès, devint un être totalement imbu de lui-même. Quand il était saoul. Donc tôt, souvent et longtemps. Il regardait de haut la faune humaine qui l’entourait tout en sachant qu’il en était partie prenante. Il se vouait le même mépris qu’à la société. Mais il ne gueulait pas, n’était aucunement engagé et n’a jamais cherché à influencer qui ou quoi ce soit, sinon le chiffre de ses ventes. Il n’avait rien à foutre de critiquer les tares du système, si pourri pouvait-il être.

Je ne connais pas Pierre Foglia autrement que par ses chroniques. Mais je sais qu’il mène une vie infiniment plus ordonnée que celle de Charles Bukowski. Ses brosses, il les prend à grands coups de bols d’air, en vélo à Saint-Armand et un peu partout sur sa planète. Foglia n’est pas un poète, du moins pas officiellement. Mais j’ai encore en tête des phrases de ses chroniques écrites il y a bien des années. «Il n’y a rien de dangereux à se mettre la tête dans la gueule d’un lion. Essayez donc de lui mettre un doigt dans le cul.» Ou au Salon de la Femme, sur la goberge — «c’est nouveau, ce poisson-là ?» — aromatisée dans du bouillon d’andouille. Ou sur cet agent de sécurité aux Jeux olympiques d’Atlanta, accoutré de telle sorte qu’il n’aurait pas eu besoin de sa cocarde SÉCURITÉ pour qu’on ne le confonde pas avec une perdrix. Avec une perdrix, chose! Et quand Foglia couvre le Tour de France, il parle des petites auberges et des spécialités locales. Rien que pour ça, j’aime déjà énormément Pierre Foglia. Mais aussi parce que, contrairement à celui de Bukowski, l’univers d’écriture de Foglia est mû par un sens profond de l’indignation. À une époque où le «qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ?» a cours plus que jamais, Foglia ne cesse de mettre le doigt sur les plaies de notre société, d’arracher les plasters placés dessus bien plus pour les cacher que pour les guérir, de nous foutre en pleine face ses blues de la bêtise humaine. Bref, Foglia s’indigne de ce qui devrait tous nous indigner.

Et les quelques sorties publiques auxquelles il s’est prêté à contrecœur ont révélé un être d’une grande humilité qui refuse de se voir comme un modèle pour ceux qui choisissent d’écrire. Mais au fond, je crois qu’il sait très bien qu’il l’est et il a toutes les raisons d’en être fier. En tout cas, moi, je lui lève bien haut mon chapeau et le remercie pour toutes les plumes critiques qu’il a aidé à faire naître un peu partout au Québec. Ces plumes qui écrivent essais, cinéma d’auteur, journaux d’opinions ou simples lettres de lecteurs. Pour le droit et le devoir de s’indigner.

Ajout de mars 2015 à cette «vieille» chronique d’août 2002 :
MERCI POUR TOUT MONSIEUR PIERRE FOGLIA.