La Covid-19 a fait une autre victime : le jugement de Marie-France Bazzo

Jacques Bérubé

HELP! On m’a changé ma Marie-France Bazzo! Ou alors quelqu’un a squatté son ordinateur — Jean-Charles Lajoie ? Sophie Durocher ? un animateur de radio poubelle de Québec ? Ben non, c’est bien Marie-France Bazzo, la Marie-France Bazzo que je trouve intelligente et posée — pas toujours, mais quand c’est le cas, c’est généralement pour une bonne cause! — qui a écrit l’article Journal des temps inédits : Détester Montréal avec, mise en exergue, la phrase : Les régions ont enfin trouvé un prétexte sanitaire, un exutoire à leur méfiance, devenue haine, envers la grande Montréal.

Même les meilleures peuvent dérailler!

LES régions, montées en un beau gros bloc homogène à l’esprit villageois, qui se méfie et qui hait Montréal. « J’ai ressenti le soupir de satisfaction du Bas-Saint-Laurent jusque dans mon cou, j’ai entendu un cri de triomphe saguenéen monter jusqu’au Stade olympique ». Bravo, Marie-France, je t’accorde ici la médaille d’or du pédalage dans la choucroute — pour reprendre l’un de mes mentors, le Concombre masqué.

Bien sûr, certaines personnes ont émis des propos regrettables, bigots même, le plus souvent dictés par l’ignorance et la peur. Ici, comme à Montréal. Mais des maires aux barricades et des tribunes incendiaires? Je n’en ai ni vus ni entendus. À moins que tu considères comme des manifestations de « haine ostentatoire » de Montréal le fait que certains élus aient demandé, par prudence, que des barrages routiers soient maintenus une ou deux semaines de plus. Généraliser comme tu le fais en disant que les régions haïssent une Montréal infectée et impure, c’est aussi crédible que de dire que tous les Montréalais roulent leurs r.

Marie-France, j’aurais aimé lire dans ton article au moins une ou deux phrases sur les « régionaleux » du domaine de la santé qui sont venus à Montréal aider les médecins, infirmières et autres préposées dans les hôpitaux et CHSLD, au risque de leur santé. Au lieu de ça, tu écris que les régions se détachent des Montréalais, de « leurs » CHSLD, de leurs travailleurs de la santé, souvent immigrants — une pincée de racisme ici — et de leurs minorités culturelles sur l’party — une cuillerée d’intolérance là. Ce bout de ton article pue le préjugé bas de gamme et le mépris!

Les CHSLD en décrépitude, ce ne sont pas ceux de Montréal, ce sont ceux du Québec tout entier et les aînés qui y souffrent et qui y meurent, ce sont NOS aînés à tous. Le gouffre que tu dis voir s’élargir entre Montréal et les régions, c’est le genre de propos que contient ton texte qui le provoque.

Je travaille dans le milieu de l’économie sociale et depuis le début de la pandémie, de tous les coins du Québec — oui oui, même dans des régions que tu pointes du doigt comme le Saguenay et le Bas-Saint-Laurent, ma région — tout ce milieu se serre les coudes pour soutenir les centaines d’entreprises collectives qui emploient des milliers de personnes qui se retrouvent au cœur d’une crise sanitaire, sociale et économique qui n’a pas de précédent. Alors, quand une personnalité publique comme toi, qui jouit d’une réputation d’intellectuelle engagée, vient lancer de telles énormités, c’est un sacré croc-en jambe à la solidarité!

Ton article est un exemple parfait des réflexions de ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs ponts. En fait, tu es dans tes écrits tout ce que tu prétends que les régions pensent de Montréal : « condescendante, hautaine, trop toutte ». Me revient en tête la chanson Ces gens-là, de Jacques Brel — Eh oui! on a déjà vaguement entendu parler de Brel, en région éloignée…

« Plusieurs Montréalais pourraient ne pas avoir envie de se frotter à cette détestation provinciale (…) Montréal se remettra à voyager, mais peut-être pas de préférence au Québec. Qui a envie d’être pris pour un ennemi? » C’est vraiment la Marie-France Bazzo que je respecte qui a écrit une telle menace cheapette de vengeance : «Bon ben, ok d’abord, tant pis, on n’ira pas dépenser notre argent chez vous, en région » ?

Tu termines ta diatribe — ou ton exutoire, pour reprendre tes mots —en affirmant : « C’est ensemble que nous pourrons nous reconstruire. Ou pas. » J’ai presqu’entendu les violons. Mais ici, Marie-France, tu sonnes faux, très faux, car les jugements que tu portes ne m’apparaissent aucunement comme ceux de quelqu’un qui voit les régions dans ce projet de reconstruction.

Un autre de mes mentors, Frank Zappa, a dit : « L’esprit, c’est comme un parachute, ça ne fonctionne que s’il est ouvert! ». Ta vision de Montréal envers les régions est périmée. Et la vision que tu prétends être celle des régions envers Montréal l’est encore plus. Et grand bien nous en fasse. À tous.

Marie-France, dans des versions préliminaires de ce texte, j’employais certains mots durs à ton égard, des mots qui m’étaient dictés par l’indignation et la colère que me provoquait la lecture de ton article. Je me suis tempéré. J’aurais aimé que tu puisses en faire autant. Et j’espère qu’aujourd’hui, tu regrettes, ne serait-ce qu’un peu, une partie de ce que tu as écrit.

Sinon, ne crains rien, nous saurons très bien reconstruire sans toi.

 

NOTE : Aujourd’hui, mercredi 20 mai, Marie-France Bazzo est revenue faire une mise au point dans sa chronique de L’Actualité. Je vous invite à lire cet addenda à sa chronique de samedi dernier : Détester Montréal.

NOTRE MAISON TOUJOURS EN FEU

Par Florence Forest-Bérubé

Je cède aujourd’hui l’espace de mon blogue à ma fille Florence, 30 ans.
Je suis touché par son texte et très fier d’elle.

Jacques Bérubé

En 2019, Greta Thunberg nous mettait en garde: OUR HOUSE IS ON FIRE. Nous avons réagi. Fortement. Brièvement. Comme trop souvent! Nous nous sommes dit: ça y est, les choses vont changer. Puis, Noël est arrivé. On a acheté des cadeaux, on les a emballés, puis déballés, on a « recyclé » pour se donner bonne conscience, puis, on a fait le virage vers 2020.

Que restait-il alors du feu? Il était pris partout en Australie. Alors, on s’est donné une nouvelle mission. Sauvons les koalas, les kangourous et tous les autres. Ça a duré quelques semaines ça aussi. Je suis certaine que plusieurs d’entre vous, comme moi, avez regardé avec tristesse les vidéos d’un des plus beaux pays du monde, ravagé par les flammes. Vous avez sûrement donné quelques dollars à des groupes d’aide aussi. Combien d’entre nous se sont rappelé les paroles de Greta Thunberg à ce moment-là? Peu… Si peu. Et pourtant, le lien pouvait difficilement être plus évident.

Depuis le mois de février, on suit les nouvelles en Chine. Le coronavirus. Ouf… Pauvre peuple chinois, décimé par un virus dont on ignore tout. Et ils sont pris à la maison. Salut Bonjour interviewait des étudiants canadiens pris dans leurs résidences à Wujan. Ils avaient hâte de rentrer à la maison.

But what we all forgot was that… our house was STILL on fire.

Ce qui se passait chez nos voisins chinois, italiens et espagnols a cogné à notre porte il y a quelques jours. Le monde entier est maintenant aux prises avec une pandémie. Si ce n’était que de nous, ça durerait deux semaines. Et comme le reste, on l’oublierait. Mais vous commencez, comme moi, à vous rendre compte que ça va durer plus longtemps que ça. On commence à avoir peur pour nos enfants, pour nos parents, nos collègues. On s’ennuie de nos patrons. Ils ne sont pas toujours commodes, mais les salutations à la machine à café, c’est un bon carburant pour partir la journée.

Alors, on est solidaires, on est beaux, on est grands. Un premier ministre provincial qui devient un véritable chef d’État; des médecins spécialistes qui abandonnent leurs spécialités pour revenir aux soins intensifs, en première ligne, pour aider leurs collègues; des infirmières qui, une fois de plus, acceptent des heures supplémentaires, qui se préparent pour la crise. Des centaines de milliers de parents qui sont à la maison avec leurs enfants, qui leur expliquent ce qui se passe, alors qu’eux mêmes ne comprennent pas. Des professeurs privés de leurs classes, des élèves privés de leurs compagnons, et parfois, malheureusement, d’une pause de la maison. Les gens restent à la maison, les artistes se tournent vers les médias sociaux pour divertir les gens. Des milliers d’entrepreneurs, restaurateurs, éducateurs, artistes, professionnels de la santé se retrouvent sans travail. Tout ça pour notre sécurité. On tente à tout prix de les aider. Oui, on est solidaires, on est beaux, on est grands. Nous allons assurément ressortir gagnants.

Pendant ce temps, la Terre prend un moment de repos, un répit de notre folie. Plus d’avions, plus de pollution, plus de surconsommation… Je nous souhaite de ressortir grandis de cette expérience traumatisante. D’apprendre. Qu’il y ait un avant et un après. Qu’on ne rallume pas le feu qu’un autre drame est en train d’éteindre. Parce que nous avions déjà oublié qu’il fallait le faire. Moi la première.

Florence Forest-Bérubé
florenceforestberube@gmail.com