POUR QUI ? POURQUOI ?

ARTICLE PARU À LA UNE DU JOURNAL LE MOUTON NOIR, Mai-juin 2016

« Il est intéressant votre projet de réaménagement du camp musical, madame, mais il va vous falloir une étude de marché… »

« Votre projet est en tous points conforme avec les orientations stratégiques de notre ministère, messieurs, nous attendons votre plan d’affaires pour décider si nous allons de l’avant… »

Jacques Bérubé

Et pour le projet de réfection de la cathédrale Saint-Germain…

Alors que la cathédrale Saint-Germain trône depuis deux ans en plein cœur du centre-ville de Rimouski, entourée de barrières de sécurité et corsetée de filets verts pour retenir des pierres qui risquent de tomber, un groupe de gens d’affaires, de gestionnaires culturels et d’architectes ont récemment déposé un projet qui permettrait de restaurer l’église dans son ensemble, en y intégrant le projet de complexe culturel de la coopérative de solidarité Paradis, qui regroupe 14 organismes, tout en conservant un espace dévolu au culte religieux. Le projet est ambitieux, certes, mais il a toutes les chances de se concrétiser parce que, d’une part, le financement du réaménagement intérieur est pratiquement acquis par la coopérative Paradis, qui mène son projet depuis des années, et parce que, d’autre part, les projets d’infrastructures multidisciplinaires ont la cote auprès des gouvernements. Ajoutons à cela que le projet est en tous points conforme avec les objectifs du plan d’urbanisme de la Ville de Rimouski, qui vise la densification du centre-ville, et qu’il possède un extraordinaire potentiel pour enrichir et consolider la vocation de place publique culturelle du secteur de la rue Saint-Germain ouest où se trouvent déjà le Musée régional de Rimouski, la salle de spectacle, la Place-du-6-mai-1950 et la Place des anciens combattants, qu’on prévoit convertir sous peu en parc piétonnier.

Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes avec le paradis dans la cathédrale ? Et bien non. Car nous sommes à Rimouski et à Rimouski, ne l’oublions pas, qui dit projet dit contestation, opposition et polémique.

Un groupe d’opposants s’est formé et il peut compter, comme au temps de ceux qui se sont objectés durant vingt ans au projet de salle de spectacle, sur l’hebdo local qui, marchant dans les traces de son prédécesseur le Progrès-Écho — là où il y avait plus d’écho que de progrès, disait Eudore Belzile! — s’est trouvé un nouvel os à ronger et se fait fort d’attiser les braises de la contestation. Ses pages jaunes se noircissent de propos d’opposants et de sondages maison qui ont autant de valeur scientifique qu’un Big Mac a de valeur nutritive.

En gros, ce groupe d’opposants voudrait que la cathédrale soit restaurée de fond en comble et qu’on lui conserve sa vocation de lieu de culte religieux. Mais que proposent-ils comme projet, qui sont-ils et surtout, où trouveront-ils les fonds nécessaires pour le réaliser ?

Est-ce qu’on ne pourrait pas exiger, comme cela se fait pour à peu près tous les projets dans toutes les sphères de l’économie, que ces gens déposent eux aussi un projet étoffé qui serait en quelque sorte leur étude de marché ? Qui sont leurs concepteurs, leurs conseillers, leurs architectes ? Quelle expertise ont-ils ? Qui seront les utilisateurs de l’église ? Combien la fréquentaient avant la fermeture ? Combien seront-ils, l’an prochain, dans cinq ans, dans vingt ans ? Quelles activités s’y dérouleront ? Et surtout, qui seront les gestionnaires responsables de la gestion et de l’entretien de la cathédrale ? Seront-ce ceux qui lui ont fait perdre son caractère patrimonial dans les années 1960, en démantelant ses grands vitraux et en recouvrant de gypse ses murs intérieurs faits de bois lambrissé ? Seront-ce ceux qui ont laissé la cathédrale se dégrader dans les dernières années, jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans son état actuel ? Voici les questions auxquelles doivent répondre les opposants au projet de réfection de la cathédrale qui est actuellement sur la table des décideurs publics et que même l’archevêque de Rimouski, Denis Grondin, appuie et défend ardemment.

N’en déplaise à ces opposants, la communauté chrétienne pratiquante ne possède plus la masse critique pour pouvoir exiger que les autorités, religieuses ou gouvernementales, lui confèrent les droits exclusifs d’utilisation de la cathédrale Saint-Germain. Et ceux qui prétendent représenter cette communauté sont loin d’avoir fait la preuve de leurs compétences d’administrateurs du bien public. La cathédrale appartient à l’ensemble de la population rimouskoise, croyants, non-croyants, pratiquants et non-pratiquants, et le bâtiment doit servir à une majorité de citoyens. Par ailleurs, peut-être faut-il rappeler à ces opposants fidèles que l’un des grands préceptes chrétiens dit que l’église doit ouvrir ses portes à toutes et tous ?

La coopérative Paradis pourrait bien décider de retirer ses billes — un joli sac de 9 millions $, ne l’oublions pas — pour aller se faire construire ailleurs, plutôt que de voir son projet de complexe culturel au centre-ville se faire embourber dans un magma de disputes politico-spirituelles sans fin. Où ceux qui tiennent mordicus au caractère religieux exclusif de la cathédrale trouveraient-ils alors les 15 ou 20 millions nécessaires à sa réfection ? On a beau croire aux miracles…

Bien sûr, on pourrait aussi continuer à regarder avec honte la cathédrale corsetée s’effriter pendant quelques années, puis en vendre les reliques morceau par morceau. Ou bien attendre qu’un riche promoteur immobilier s’amène pour la convertir en condos de luxe, comme ça s’est fait avec bien des églises de Québec et de Montréal.

Rimouski a souffert bien assez longtemps de l’immobilisme de ses conseils municipaux des années 1980 et 1990 et de la politique des bâtons dans les roues de ceux qui se font un devoir de freiner le développement. Il est temps que la majorité se tanne d’être silencieuse et qu’elle mette l’épaule à la roue pour appuyer les promoteurs des projets qui font avancer la ville et la région.

Musique et mots pour la tête et le coeur

Comme j’occupe maintenant un emploi à temps plein, j’ai beaucoup moins de temps à consacrer à mon blogue. Mais… un texte paru plusieurs semaines avant la dernière élection fédérale, ça commence quand même à faire, comme on dit…

Je reproduis donc ici deux critiques parues dans le journal Le Mouton NOIR dans les dernières semaines. La première parle d’un magnifique disque de jazz, GLORIA, du guitariste et compositeur montréalais Sylvain Picard et la seconde porte sur le recueil des « Chroniques d’un faux docteur de campagne » écrites par Pierre «Docteur» Landry, parues dans Le Mouton NOIR de 1999 à 2015,

Je vous souhaite beaucoup de bonheur à écouter et lire ces deux belles oeuvres.

GLORIA

Sylvain Picard
Note Musik

Sylvain Picard est l’un des secrets les mieux gardés du jazz au Québec. Et comme le jazz au Québec relève parfois lui-même du secret, notre type, guitariste compositeur de son état, commence à être difficile à tracer. Bien sûr, la présence d’un bon et grand festival de jazz en cette cité — dite du bonheur — de Rimouski pourrait aider à la découverte, mais… pas t’encore. Mèche allumée.

J’ai connu Sylvain Picard par l’album de son trio, Airs à faire frire, librement inspiré de la suite Airs à faire fuir d’Érik Satie et saluant tout autant son professeur de kung fu que Saint-Exupéry et les réalisateurs de films expérimentaux. Une belle trouvaille qui rappelait au vieux rocker que je suis une certaine époque de King Crimson mais aussi la musique bigarrée dite « jazz blanc » des Terje Rypdal et autres Abercrombie de l’écurie ECM.

Sa dernière œuvre, Gloria, a été produite par Note Musik, de Rimouski. La composition et l’enregistrement —impeccable! — de Gloria découle d’une commande de « messe jazz de rite catholique romain » reçue de l’église Gésu, qui est aussi une salle de production culturelle, de Montréal. Mais attention, ce n’est pas un disque pour grenouilles de bénitier et les amateurs de belle musique, mécréants compris, y trouveront leur compte. C’est un album concept défini par son compositeur comme « une suite jazz luxuriante de 10 films pour l’oreille joués par quatre musiciens complices ». Outre Sylvain Picard à la guitare et à la composition, les autres célébrants — ceci était ma dernière allusion cléricale  — sont Yannick Rieu aux saxophones, Maxime St-Pierre à la trompette et au flügelhorn et Guy Boisvert à la contrebasse. Belle brochette!

Oui, les titres réfèrent à une messe : Kyrie, Agnus Dei, Offertoire, Psaume, Action de Grâce, etc. mais j’oserais dire que ce sont là les seules référence à l’église. Dans le livret, Sylvain Picard parle de l’une de ses intentions de création — pour la pièce Alléluia — : dépeindre musicalement l’émotion vivifiante que l’on ressent en contemplant les jeux d’ombre et de lumière dans les feuilles, les fleurs et les fruits d’un arbre luxuriant.

Ça coule, ça transporte, ça touche, ça atteint son but. Nous sommes avec Gloria en contact intime avec une grande œuvre musicale, recherchée et très inspirée. C’est d’ailleurs probablement dans ce dernier qualificatif que réside sa connotation la plus spirituelle.

CHRONIQUES D’UN FAUX DOCTEUR DE CAMPAGNE

Le Mouton NOIR 1999-2015

Pierre Landry
Éditions Trois Pistoles

Ce recueil des Chroniques d’un faux docteur de campagne, de Pierre « Docteur » Landry, édité par Les Éditions Trois-Pistoles, a été lancé au début novembre 2015, en plein Salon du livre de Rimouski, dans une indifférence quasi-généralisée. Même le journal que vous avez entre les mains, qui les publie depuis 16 ans, n’en a pas parlé. Et pourtant. Non seulement celui qui est maintenant le vénérable et invétéré vétéran des pages du Mouton NOIR méritait un bien meilleur traitement — il a aussi publié un essai-anthologie de 400 pages sur ledit journal en 2005 et assumé la rédaction en chef par intérim à deux reprises —, mais son recueil est en soi un petit bijou. Mais nul n’est prophète dans son pays, dans sa région ou sa campagne. Alors voici donc — vieux motard que jamais — la recension de ce juteux ouvrage, qui ramène à la surface, pour notre plus grand plaisir, 16 années de chroniques ludiques, cyniques et mordantes, mais aussi d’une grande qualité littéraire.

Ce qui est particulièrement intéressant et agréable avec ce recueil, c’est qu’on peut l’ouvrir au hasard à n’importe quelle page et, après un petit ajustement d’une ou deux pages pour partir au début d’une chronique, on se tape un voyage dans le temps dans ce qui était l’actualité sociale, culturelle et politique de 1999, 2007, 2003, 2011, tout dépendant où vous posez le doigt. Des chroniques qu’on peut lire à la volée, quoi. De belles relectures pour ceux qui, comme moi, lisent assidument les chroniques du docteur depuis 16 ans et de belles découvertes pour ceux qui ne le font que depuis peu ou qui le feront désormais, suite à la dégustation qu’ils feront de ce livre.

Pour la petite histoire, disons que le Docteur Landry a vu pleuvoir — et neiger et grêler et… vous pouvez ajouter ici ce que vous voulez. Il sévissait jadis en tant que tiers de la Sainte-Trinité, que complétaient Plume Latraverse et Pierrot Léger. Après l’obtention d’une maîtrise en études littéraires à l’UQAM, Pierre Landry a posé ses pénates avec sa douce à Saint-Alexandre-de-Kamouraska où il a fait — et fait toujours — mille métiers : pépiniériste, marchand d’antiquités, « rédocteur »-en-chef, auteur, bien sûr, mais aussi pendant quelques années, directeur du Musée du Bas-Saint-Laurent de Rivière-du-Loup.

Voici ce que notre cher Boucar Diouf dit de Pierre Landry et de ses chroniques : « Ce docteur est un mouton noir parmi les médecins. Un des rares soignants à demander haut et fort à ses compagnons de refuser d’avaler passivement la pilule que les décideurs politiques et autres groupes d’intérêt proposent pour faire accepter l’innaceptable. Ses prescriptions sont une mine d’or pour tous ceux qui cherchent à élargir leur vision (…).

Voilà, à vous maintenant de goûter à la médecine du Docteur Landry, pour le plus grand bien de votre santé mentale.

Jacques Bérubé

jacques.hugb@gmail.com

Liberté… Libarté

De Charlie, des poubelles et du Mouton
Jacques Bérubé

JE SUIS CHARLIE.
J’étais Charlie bien avant le 7 janvier 2015; depuis l’après Hara-Kiri, Pilote, depuis Charlie Hebdo, que je lisais régulièrement même si je devais me le procurer « en ville », à Montréal. Je n’ai pas découvert Cabu, Charb, Wolinski, Tignous et Honoré en cette sombre journée où la liberté d’expression a été atteinte en plein cœur. J’ai donc vécu un vrai de vrai deuil. Et en même temps que j’appréciais de voir se lever l’immense mouvement de solidarité provoqué par les attentats, j’ai été dégoûté de voir le criminel de guerre israélien Nethanayou et des dirigeants de pays tels l’Égypte, la Russie, l’Algérie, les Émirats arabes unis et même l’Arabie saoudite, qui a condamné Raif Badawi à 1000 coups de fouet et à 10 ans de prison pour avoir prêché la tolérance chez les islamistes, se pavaner en première ligne de la marche de solidarité pour Charlie et la liberté d’expression, le 11 janvier. Un beau défilé d’hypocrites et d’opportunistes.

« C’est dur d’être aimé par des cons ». Cette phrase au-dessus d’un dessin de Cabu montrant le prophète Mahomet excédé est celle qui a mis le feu aux poudres. Elle ne visait que les intégristes, ces vrais cons qui relèguent la femme au rang d’esclave et qui se croient investis du devoir de tuer ceux qui ne croient pas aux mêmes lubies qu’eux. Mais une partie de la communauté musulmane s’est senti visée. Et pourtant, Charlie tirait dans tous les sens — et continuera de le faire, même sans ses meilleures plumes. Les catholiques, les juifs, les politiciens, de droite comme de gauche, tous y passaient.

Tout récemment, le cardinal-dinosaure Marc Ouellet qui était, il n’y a pas si longtemps, dans la course à la boucane blanche pour devenir pape, condamnait encore et toujours l’avortement, même pour les femmes victimes de viol. Voici un exemple concret de radicalisme et d’intégrisme, catholique celui-là, qui doit être décrié. Est-ce que les catholiques que, majoritairement, nous sommes encore officiellement, se sentiraient offusqués par un dessin d’André-Philippe Côté, de Chapleau ou de Garnotte qui ridiculiserait la pensée obscurantiste du cardinal ? Non. En se disant insultés par les dessins visant leurs fous intégristes, les musulmans ne protègent-ils pas ceux qui, dans les faits, font le plus de torts à leur religion ?

Si ton dieu ne vaut pas une rigolade ou un dessin, il ne vaut pas grand chose.

Par ailleurs, ne sommes-nous pas, collectivement, bien plus menacés par les mesures des Philippe Couillard, Pierre Moreau, Martin Coiteux et compagnie — à but très lucratif! — et des mollassons à la Jean D’Amour, qui assiste au dégât sans mot dire — que par n’importe quel imam obscurantiste et attardé qui débiterait ses âneries intégristes dans une mosquée miteuse de Montréal ?

LIBERTÉ. LIBARTÉ ?
Il y a quelques années, au plus fort de la « crise » du permis de CHOI-FM, dans la Québec profonde des radios poubelles, des milliers de personnes scandaient ou écrivaient « Liberté, j’écris ton nom! » sans même savoir que c’était tiré d’un poème de Paul Éluard. « Éluard? Pour quelle équipe qu’y joue, lui, stie ? ».

Liberté d’expression ou Libarté de défécation verbale ? Où tracer la ligne entre ces deux sphères du monde de l’opinion ? Faut-il seulement en tracer une ? Je suis contre toute censure, mais je ne ferai pas semblant de me battre en citant Voltaire — faussement, d’ailleurs —pour défendre la liberté des fouille-merde et langues sales qui polluent les ondes radio et vomissent sur le papier de journaux déjà jaunes. Par contre, si je fais valoir mon droit d’exprimer haut et fort que des gueulards comme Jeff Fillion ou des démagogues comme la coquerelle de droite Éric Duhaime sont de sinistres cons, je n’ai d’autre choix que de reconnaître — sans le défendre —leur droit d’exprimer leurs conneries et de me trouver con à leur tour.

IL A 20 ANS NOTRE BEAU MOUTON
Le lancement du Mouton NOIR, il y a 20 ans, répondait moins à un besoin de liberté d’expression qu’à celui, pressant, de se donner une véritable tribune de communication. Car les canaux étaient à cette époque singulièrement bouchés. Quiconque fouillerait les archives des hebdos rimouskois de la première demie des années 1990 aurait peine à croire que l’ensemble du milieu culturel et socio-économique de Rimouski appuyait un projet de salle de spectacle au centre-ville, tant les scribes de ces journaux — sauf notre regretté Laurent Leblond — ne présentaient que les positions des opposants au projet, petits potentats locaux et magouilleurs de coulisses. Nous avons changé la donne; nous avons contribué au déblocage de ce projet et nous en avons fait tomber d’autres qui allaient à l’encontre du bien public. Nous avons, comme disait Henri Bourassa en 1910, « satisfait les affligés et affligé les satisfaits ».

Encore aujourd’hui, nous pouvons et devons être fiers de ce journal citoyen.

Bonne fête Mouton. Bonne fête à ceux qui, avec moi comme « directeur de la rédaction et camelot », lui ont donné vie en 1995 : Fernande et Carmen Forest, Pascale Gagnon, Eudore Belzile, Denis Leblond, Roy Hubler, Marie Bélisle, Claude-Philippe Nolin, Alain Huot et les autres.

Bonne suite à ceux qui apportent encore et toujours au pré de quoi nourrir notre ovidé au sourire narquois et qui « enfourchent avec nous le Mouton NOIR vers le champ libre de l’opinion et de l’information » (Le Mouton NOIR, Vol. 1 no 1, mars-avril 1995).

Ne baissons pas les bras et ne renonçons jamais à notre droit à l’indignation.

Salut et MERCI Pierre Foglia

J’ajoute mon grain de sel à la pléiade d’hommages que l’on rend à M. Pierre Foglia, qui a annoncé sa retraite, en cette première semaine du mois de mars 2015. Je reproduis ici la chronique que j’avais écrite en 2002 pour Le Mouton NOIR dans laquelle je parlais de Monsieur Foglia et de l’un de ses auteurs préférés (et à moi aussi), Charles Bukowski.

Coincé dans les bras d’une vie folle. Locked in the arms of a crazy life. C’est le titre d’une biographie de Charles Bukowski signée par Howard Sounes et éditée par Black Sparrow Press. L’an dernier, Pierre Foglia en avait parlé dans l’une de ses chroniques dans laquelle il parlait aussi du Mouton NOIR, «un journal d’humeur du Bas du Fleuve», disait-il. Il disait combien ce livre est excellent et je le réaffirme en ouvrant ici une parenthèse : monsieur Pierre Foglia n’aime pas que ses lecteurs l’appellent familièrement Foglia. Il a bien raison. Ce n’est pas parce que quelqu’un nous touche avec presque toutes ses chroniques qu’il devient pour autant un intime. Qui plus est, on n’appelle généralement pas nos intimes par leur nom de famille. Mais question de taper un peu moins de caractères — il comprendra, il était typographe — convenons dès maintenant qu’il y a un «monsieur» aspiré — et bien senti — à chaque fois que j’écris simplement Foglia. Fermeture de parenthèse et retour à la précitée chronique.

Dans son commentaire sur Locked in the arms of a crazy life, Foglia révélait que Charles Bukowski était l’écrivain qui l’avait le plus influencé pour qu’il veuille faire de son écriture son gagne-pain. Ça m’avait franchement étonné. Parce que Bukowski et Foglia sont aux antipodes l’un de l’autre. Mais rien ne dit que l’on ressemble à ses influences. Et c’est ici fort heureux. Une fois assimilé ce constat, cette révélation a fait se rejoindre deux fils dans ma tête : j’aime énormément l’écriture de Charles Bukowski, mais moi, celui qui m’a le plus influencé à écrire, c’est Pierre Foglia.

Charles Bukowski était un salaud, un gros dégueulasse, un bagarreur — qui ne frappait pas toujours que des hommes — qui était continuellement saoul, saoul dans le genre excessif. Boire, vomir, continuer, avoir mal au bloc, recommencer… De fait, il utilisait beaucoup le terme anglais « hangover ». Il pouvait écrire des saloperies sur ses amis et encore pire sur des gens de son entourage à qui il ne portait pas d’affection particulière. Mais Bukowski écrivait autant qu’il buvait et il le faisait de façon sublime. Charles Bukowski, enfant battu par son père et rejeté par ses proches dès son jeune âge, est devenu l’un des plus grands poètes qu’aient portés les États-Unis profonds. En soi, rien que les titres de ses recueils sont des œuvres : Love Is a Dog from Hell, Playing the Piano Drunk/ Like a Percussion Instrument/ Until the Fingers Begin to Bleed a Bit, The Last Nights of the Earth Poems. Assis dans son antre à écriture devant sa vieille dactylo et son cendrier plein, il transposait son univers sale et médiocre dans une poésie extraordinaire. Pas une poésie à rimettes, une poésie qui pue, qui sue, qui se promène le fond de culotte à mi-cuisse et la bedaine de bière à l’air. Une poésie vivante qui regorge d’images, de richesse et de vie, si sale soit-elle.

Bukowski, quand il connut le succès, devint un être totalement imbu de lui-même. Quand il était saoul. Donc tôt, souvent et longtemps. Il regardait de haut la faune humaine qui l’entourait tout en sachant qu’il en était partie prenante. Il se vouait le même mépris qu’à la société. Mais il ne gueulait pas, n’était aucunement engagé et n’a jamais cherché à influencer qui ou quoi ce soit, sinon le chiffre de ses ventes. Il n’avait rien à foutre de critiquer les tares du système, si pourri pouvait-il être.

Je ne connais pas Pierre Foglia autrement que par ses chroniques. Mais je sais qu’il mène une vie infiniment plus ordonnée que celle de Charles Bukowski. Ses brosses, il les prend à grands coups de bols d’air, en vélo à Saint-Armand et un peu partout sur sa planète. Foglia n’est pas un poète, du moins pas officiellement. Mais j’ai encore en tête des phrases de ses chroniques écrites il y a bien des années. «Il n’y a rien de dangereux à se mettre la tête dans la gueule d’un lion. Essayez donc de lui mettre un doigt dans le cul.» Ou au Salon de la Femme, sur la goberge — «c’est nouveau, ce poisson-là ?» — aromatisée dans du bouillon d’andouille. Ou sur cet agent de sécurité aux Jeux olympiques d’Atlanta, accoutré de telle sorte qu’il n’aurait pas eu besoin de sa cocarde SÉCURITÉ pour qu’on ne le confonde pas avec une perdrix. Avec une perdrix, chose! Et quand Foglia couvre le Tour de France, il parle des petites auberges et des spécialités locales. Rien que pour ça, j’aime déjà énormément Pierre Foglia. Mais aussi parce que, contrairement à celui de Bukowski, l’univers d’écriture de Foglia est mû par un sens profond de l’indignation. À une époque où le «qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ?» a cours plus que jamais, Foglia ne cesse de mettre le doigt sur les plaies de notre société, d’arracher les plasters placés dessus bien plus pour les cacher que pour les guérir, de nous foutre en pleine face ses blues de la bêtise humaine. Bref, Foglia s’indigne de ce qui devrait tous nous indigner.

Et les quelques sorties publiques auxquelles il s’est prêté à contrecœur ont révélé un être d’une grande humilité qui refuse de se voir comme un modèle pour ceux qui choisissent d’écrire. Mais au fond, je crois qu’il sait très bien qu’il l’est et il a toutes les raisons d’en être fier. En tout cas, moi, je lui lève bien haut mon chapeau et le remercie pour toutes les plumes critiques qu’il a aidé à faire naître un peu partout au Québec. Ces plumes qui écrivent essais, cinéma d’auteur, journaux d’opinions ou simples lettres de lecteurs. Pour le droit et le devoir de s’indigner.

Ajout de mars 2015 à cette «vieille» chronique d’août 2002 :
MERCI POUR TOUT MONSIEUR PIERRE FOGLIA.

La Maison du pêcheur, la critique et le public

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Par Jacques Bérubé

J’ai pris du temps, beaucoup de temps, pour répondre à certaines critiques négatives émises — crachées, dirai-je, dans le cas de Marc Cassivi, de La Presse, — sur le film La Maison du pêcheur, sur lequel j’ai travaillé comme recherchiste, puis comme scénariste, pendant près de dix ans.

Je prends maintenant le temps de répondre à ces critiques, car, depuis le lancement du film, le 13 septembre 2013, j’ai pu prendre le pouls du public, celui qui voit le film en toute ouverture et sans idée préconçue. Après avoir échangé avec le public plus d’une dizaine de fois, à Montréal, Rimouski, La Malbaie, Carleton-sur-Mer, Percé, Montmagny, Sainte-Anne-des-Monts, Sept-Îles, j’affirme que notre film rejoint et touche les gens. Ceux qui ont vécu cette époque s’y retrouvent et ceux qui ne l’ont pas connue la découvrent avec émotion. Bref, les gens, jeunes comme vieux, aiment La Maison du pêcheur.

L’un des plus beaux commentaires que j’ai reçus est venu d’un jeune de 22 ans : « On sort de ce film les yeux un peu humides et les poings un peu serrés. »

 

Nous n’avons pas la prétention d’avoir fait un grand film. Il n’est pas sans défaut. C’est un film honnête et touchant qui a une qualité singulière, celle de présenter une page méconnue de l’histoire du Québec. La Maison du pêcheur montre, à la mesure de ses moyens, ce qui a précédé l’une des périodes les plus sombres de l’histoire du Québec, la Crise d’Octobre 1970, et présente ceux qui, quelques mois après cet été à Percé, allaient joindre le Front de libération du Québec (FLQ) et qui, sous le nom de la cellule de financement Chénier, allaient enlever le ministre Pierre Laporte et être responsables de sa mort.

Certains critiques, encore une fois Marc Cassivi au premier plan, nous ont reproché d’avoir fait du personnage de Bernard un fils de pêcheur, ce qu’il n’était pas (son père était un employé du Cégep de Gaspé). Rappelons-leur que, dès la première minute du film, il est écrit « Ce film est inspiré d’une histoire vécue. Certains évènements ont été modifiés à des fins dramatiques ». Qui plus est, cet élément fictif est clairement énoncé dans le site Internet qui présente le film. Nous avons sciemment fait de Bernard le fils d’un pêcheur gaspésien pour que le personnage par lequel nous voyons l’histoire évoluer soit aussi le porteur de la cause des pêcheurs et des gagne-petit de la Gaspésie. Les hochements de têtes que nous voyons à chaque fois que nous expliquons au public gaspésien les raisons de cette « distorsion historique », nous prouvent que nous avons eu raison de le faire.

Marc Cassivi nous a aussi reproché, deux fois plutôt qu’une, d’avoir fait des personnages caricaturaux et d’avoir présenté les opposants aux jeunes de la Maison du pêcheur en « crétins de province ». Je lui laisse l’entière paternité de cette insulte. Et je lui envoie, en pensée, une bonne claque derrière la tête, chaque fois qu’après le film, nous recevons des applaudissements nourris et que nous discutons, parfois jusqu’à 45-50 minutes, avec les gens, touchés et enthousiastes.

À Percé, à l’église, le 13 septembre dernier, 400 personnes se sont levées d’un bloc pour applaudir à tout rompre ce film et ses artisans, acteurs et producteurs. Quatre cents personnes qui étaient fières d’être montrées comme des crétins de province? Non! Ravale tes paroles, Marc Cassivi! Quatre cents personnes de Percé et quelques milliers, de bien d’autres régions, qui ont vu et aimé le film, te les retournent, bien emballées dans le papier jauni de ton journal.

Bien sûr, quand on est coupé des gens des régions zéloignées comme trop de « ces gens-là, madame », comme chantait Brel, on se met en retrait du petit peuple, celui que voulait justement rejoindre ceux de La Maison du pêcheur. Il arrive que des gens qui, comme Cassivi, ont quitté une région en bas âge — il est natif de Gaspé — se fassent le défenseur de la veuve et l’orphelin de leur alma mater pour en camoufler leur méconnaissance et leur détachement, voire même pour s’en déculpabiliser. Encore faudrait-il, pour garder un minimum de crédibilité, connaitre cette veuve et cet orphelin, s’intéresser à ce qu’ils sont et surtout, se demander ce qu’eux, qui font corps avec leur coin de pays et qui connaissent ceux qui l’habitent, ont pensé du film.

Les personnages du film qui s’opposent aux jeunes de la Maison du pêcheur sont librement inspirés de plusieurs de ceux qui, en 1969, ont participé aux deux expulsions violentes, faites à sept jours d’intervalle, avec les boyaux et un camion d’incendie de la municipalité. En passant, nous ne manquons jamais de le dire lors des échanges qui suivent le film, l’expulsion montrée dans le film — une seule, cinématographie oblige — est bien en deça de la réalité. Aucun des jeunes présents dans la maison n’a pu sortir avant l’arrosage, et les jets d’eau étaient beaucoup plus puissants que dans le film.

Quiconque veut en savoir plus long sur ces « pompiers volontaires », qui n’étaient pas tous, je le précise, des fiers-à-bras ou des personnes violentes, mais qui ont été emportés par le courant, peut consulter le site Internet où quelques-uns racontent leur expérience de l’expulsion.

En 2012, 43 ans plus tard, sur les lieux du tournage, l’homme qui a inspiré en partie le personnage d’André Duguay, joué par Luc Picard, affirme fièrement qu’il a ouvert la porte de la Maison du pêcheur, après qu’elle eut été défoncée à coups de hache, pour lancer l’expulsion sauvage des jeunes.

Un autre pose, tout aussi fièrement, à côté des boyaux du camion de pompier, en disant qu’il pouvait y avoir « jusqu’à 250 livres de pression là-dedans » et « que les jeunes et les tables revolaient partout ». Le même homme affirme toujours qu’ils ne sont pas allés trop loin!

Pire encore, à une question que je lui posais sur les souvenirs qu’il avait à propos du décès accidentel d’un jeune homme de 25 ans survenu tout près de la Maison du pêcheur en 1969, l’un des plus farouches opposants des jeunes m’avait répondu, en 2005 :

– Lui : « C’tait tu un jeune de la Maison du pêcheur ? »
– Moi : « Il n’était pas dans la gang qui tenait ça, mais il se tenait souvent là! »
– Lui : « Ben comme ça, je devais être ben content! »

Voilà.

Trente-six ans après les évènements de Percé, la hargne et le mépris contre les jeunes révolutionnaires, barbus, crottés, communistes, étaient toujours bien ancrés chez certaines personnes. Et ce sont ces personnes que j’ai rencontrées, qui m’ont parlé de leur expérience et de leur vision des choses, qui ont inspiré, n’en déplaise aux critiques, les personnages qui se battent contre la présence des jeunes de la Maison du pêcheur dans le film du même nom.

Pour conclure, je citerai l’un des jeunes comédiens du film lors d’une rencontre avec le public après une projection de La Maison du pêcheur : « Il y a de tout dans notre film : de l’histoire, du drame, de la violence, de l’amour, de l’humour. C’est peut-être ce qui a déplu à certains critiques! »

Voilà. Nous avons fait un film pour le public et non pour la critique. Et nous en sommes très fiers.