Il y a un peu plus de deux ans, je « prêtais » la page de ce blogue à ma fille Florence pour un article d’opinion titré « Notre maison, toujours en feu », qui portait sur le réchauffement climatique et l’inaction des gouvernements.
Aujourd’hui, en cette fin de mois de juin 2022 très pluvieux, je publie deux lettres de mon vieux compère Pierre Landry, dit Le Docteur Landry, qui mène un combat quasi épique contre un méga-projet de complexe de santé et de logements complètement hors-normes et, je dirais, hors-raison! D’un côté, une grande compagnie immobilière, un propriétaire de commerce ayant flairé l’appât du gain et la Ville de Rivière-du-Loup et un nouveau maire qui n’hésitent pas à aller contre leurs propres règlements d’urbanisme, hypnotisés qu’ils sont par l’ampleur du projet dans leur petite ville. De l’autre, un petit groupe de citoyens directement affectés par le projet et encore conscients de l’importance de réfléchir sur les questions d’urbanisme avant de se laisser charmer par le chant des sirènes de l’investissement et de l’envahissement du territoire.
Quand on regarde tous les aspects du projet; largeur de la rue, impact sur la qualité de vie de la Maison des Aîné-es récemment construite à proximité, proximité d’un site naturel exceptionnel — le parc des chutes, etc., on a peine à croire qu’un conseil municipal et qu’un maire puissent à ce point manquer de jugement et être à ce point soumis aux idées de grandeur d’une compagnie immobilière pour qui la santé et le logement sont d’abord et avant une affaires de profits.
Jacques Bérubé
Voici l’histoire de défenseurs du gros bon sens et de la vie de quartier et de petite ville, Pierre Landry, et sa conjointe, Jocelyne Gaudreau :
Rivière-du-Loup, juin 2022
Lettre aux ministres de la Santé et des Services sociaux et des Aîné-es et Proches aidants, au Premier ministre et à la Présidente-directrice générale du CISSS du Bas-Saint-Laurent
Mme Isabelle Malo, Présidente-directrice générale CISSS du Bas-Saint-Laurent
M. François Legault, Premier Ministre du Québec
M. Christian Dubé, Ministre de la Santé et des Services sociaux
Mme Marguerite Blais, Ministre responsable des Ainés et des Proches aidants
Mesdames, messieurs,
La présente est pour vous informer de l’existence à Rivière-du-Loup d’un projet d’un complexe d’habitation et médical de neuf étages qui verrait le jour tout juste à côté de la maison des aînés, en bordure de la Rivière-du-Loup.
Attendu la volonté du gouvernement de créer des lieux paisibles et accueillants pour « des personnes âgées en perte d’autonomie modérée qui seront accompagnées jusqu’à la perte d’autonomie majeure », nous questionnons cette initiative qui favoriserait ainsi l’implantation d’un immense complexe immobilier presque dans la cour de la Maison des Aînés.
Le complexe de neuf étages comprendrait deux étages souterrains pouvant accueillir 400 voitures de même qu’une impressionnante aire de stationnement en surface étendue sur une vaste superficie. Il comprendrait de plus de nombreuses cliniques à caractère médical, un état de fait qui, ajouté à la présence de 165 unités de logement, entraînerait une circulation quasi incessante. C’est sans compter sur l’ombre portée qui plongera la Maison des Ainés dans la pénombre aux plus belles heures de la journée. De plus, dès l’instant où les premiers pensionnaires trouveront refuge dans leur nouveau lieu d’habitation, ils subiront le contrecoup de travaux qui selon le promoteur s’échelonneront jusqu’en 2024.
Voici ce qu’en pense une aînée actuellement âgée de 83 ans :
« En tant que femme âgée vivant à Notre-Dame-du-Portage, j’ai salué avec joie la construction de la Maison des Aînés au bout de la rue Sainte-Anne, juste à l’arrière du secteur de la rue Saint-Louis où l’énorme bâtisse serait construite. À l’heure où, fort des pénibles expériences vécues au cours de la COVID et même avant, le ministère de la Santé et des Services sociaux souhaite offrir aux personnes en fin de vie des lieux mieux adaptés à leurs besoins que ne le sont les actuels CHSLD, dans des environnements paisibles, verdoyants, en un mot humains, le choix de construire la maison des aînés près de la Chute et du Platin répondait vraiment à ces critères. Mais si le projet Medway voit le jour, c’est à l’ombre d’une tour de condos, au-dessus de trois étages de services de toutes sortes, avec une circulation de voitures et de camions incessante et des stationnements partout, que se retrouveront nos personnes âgées, le soleil leur étant presque constamment voilé… »
– Simone Landry.
Le projet en question nécessite de plus la destruction d’une maison à logements situé sur le périmètre convoité de même que le déménagement d’une maison ancestrale, de même que l’éviction des locataires actuels. On procéderait de plus à l’abattage de nombreux arbres dont certains centenaires.
Il va de soi pour nous que ce projet contrevient totalement à l’essence même du concept de maison des aînés et nous vous prions de prendre acte de façon impérieuse dans ce dossier pour lequel la Ville de Rivière-du-Loup s’est montrée ouvertement très favorable.
Nous nous permettons de joindre aux présentes une photo d’un esquisse qui a été dévoilée lors d’une séance d’information tenue par le promoteur, le Groupe Medway, le 14 juin dernier. Elle provient d’une capture d’écran faite à partir de l’édition web du journal mentionné.
Veuillez agréer, mesdames, messieurs, l’expression de nos sentiments distingués.
La bâtisse en beige représente la maison des aînés de Rivière-du-Loup. L’édifice au toit blanc représente le projet convoité, de neuf étages.
Jocelyne Gaudreau
Pierre Landry
Citoyens de Rivière-du-Loup
Lettre ouverte au maire de Rivière-du-Loup, M. Mario Bastille
Monsieur Bastille,
Nous apprenons ce matin que le Groupe Medway en serait venu à une entente avec les locataires des immeubles portant les numéros civiques 27-29 et 31-33 rue Saint-Louis à Rivière-du-Loup et s’apprêterait à déposer de nouvelles demandes de permis de démolition pour les immeubles se trouvant sur ces lots. D’autre part, les résidents avoisinant le projet ont été invités ce soir même par le promoteur Medway à une rencontre d’information. Nous sommes très heureux de cette invitation et nous sommes anxieux d’en apprendre davantage sur ce projet. Cependant, il est évident que M. Yan Boudreau, président du Groupe Medway, fera tout pour nous convaincre des bienfaits du projet. C’est là bien sûr son droit le plus légitime et c’est tout à son intérêt.
Il y a cependant un certain nombre de questions que les citoyens se posent, auxquelles ils sont en droit d’avoir des réponses, et auxquelles seule la Ville peut répondre. En voici quelques-unes.
Le zonage
Si l’on se fie aux informations contenues dans le Programme particulier d’urbanisme pour le centre-ville (PPU) dont l’avis public d’entrée en vigueur a été diffusé dans les pages du journal Infodimanche du 1er juin dernier, les lots 3 750 954 et 3 750 955 où se situent les maisons vouées à la démolition ou au déménagement ne feraient pas partie du périmètre dit Pôle de santé. Ils feraient plutôt partie d’une zone qualifiée comme « résidentielle de forte densité » où seules sont autorisées des unités de 1 à 12 logements et « la vente au détail de quartier ». Il serait donc interdit, selon la règlementation actuelle, d’y construire un édifice pouvant abriter entre 145 et 165 logements et des « services médicaux et de santé »1. On pourrait rétorquer que l’immeuble en question ne serait pas érigé directement sur ces lots et qu’ils seraient simplement convertis en aire de stationnement, comme me l’a signifié M. Robert Cooke, consultant engagé par l’entreprise, lors d’une conversation téléphonique initié par ce dernier et qui s’est tenue le vendredi 3 juin dernier à 11 h 30.
Or comment justifier « à l’intérieur d’un secteur à caractère patrimonial identifié au règlement municipal de zonage » de la Ville où les propriétaires doivent respecter des normes très strictes quand aux travaux qu’ils peuvent effectuer sur leur résidence (fenestration, matériaux, revêtement extérieur, etc.), comment justifier qu’on puisse autoriser la démolition d’un immeuble et le déménagement d’un autre en vertu d’une conversion de ces espaces en aire de stationnement ?
Comptez-vous procéder à un changement de zonage pour ces lots, M. Bastille, dans le seul but d’accommoder un promoteur, allant ainsi à l’encontre des règlements existants et en modifiant un PPU quelques semaines à peine après son entrée en vigueur ?
1 « La grille des usages de la zone 4-Rb prévoit la modification des usages suivants : Habitation multifamiliale de 4 à 12 logements ». PPU Ville de Rivière-du-Loup, p. 21.
Les aspects environnementaux
Autres questions, M. Bastille. Est-ce que la Ville a procédé à des analyses rigoureuses quant aux aspects environnementaux de ce gigantesque projet ? Qu’est-ce qui en est de la nature du sol, de sa capacité portante considérant que l’édifice aura neuf étages? On parle d’une excavation pour accueillir deux étages de stationnement souterrains. Qu’en est-il de la nappe phréatique? Quels sont les risques réels de déstabiliser les abords de la rivière-du-Loup? Est-ce que la Ville a procédé à une étude d’impacts avant de se livrer pieds et poings liés aux desiderata d’un promoteur ?
En pleine période de réchauffement climatique allant en s’accroissant, quelle est la logique d’abattre des arbres centenaires pour faire place à une aire de stationnement considérable, créant ainsi un îlot de chaleur et une surface de ruissellement majeure, alors que les eaux de pluie et de la fonte des neiges sont actuellement absorbées par la végétation ambiante? Est-ce que le réseau et les canalisations actuelles seront en mesure d’absorber une si grande quantité d’eau de ruissellement et les eaux usées de 165 logements et de trois étages de cliniques ou de bureaux ?
Et en ce qui concerne l’abattage des arbres, la Ville ne s’apprête-t-elle pas à contrevenir à sa propre règlementation en autorisant la coupe à blanc d’un si grand nombre de végétaux ?
La circulation
La rue Saint-Louis est une rue très étroite où l’on peine déjà à croiser un autre véhicule, surtout en période hivernale. L’accès donnant sur la rue Lafontaine est déjà à risques considérant la pente et la courbe qui se situent juste avant le croisement des deux artères. Quel sera l’impact pour les résidents et pour les usagers du centre-ville de cet afflux d’automobiles alors que le projet de Medway évalue le nombre de stationnements sur le site à plus de 400 ? Encore là, est-ce que le service d’urbanisme s’est intéressé à la question. Les urbanistes ont-ils émis des réserves, ont-ils proposé des solutions? Ont-ils envisagé des moyens pour pallier cet éventuel engorgement de la rue Saint-Louis et du secteur avoisinant ?
Le patrimoine bâti
Le projet prévoit le déménagement d’une maison patrimoniale qui occupe le site où elle a été construite depuis plus de cent ans. Elle est actuellement intégrée à un environnement végétal où l’on retrouve notamment des arbres centenaires. Cet ensemble forme un tout patrimonial d’une valeur inestimable.
On prévoit déménager cette maison dans un parking, là où elle perdra une grande partie de sa valeur, suite à ce « déracinement » et à son intégration à un univers de béton et d’asphalte. Avez-vous demandé un avis à vos experts en patrimoine à la Ville quant à cette éventualité ? Les fonctionnaires responsables de ce secteur ont-ils seulement été informés de la chose ?
Les impacts sociaux
Perturber la vie d’un quartier et le tissu social qui en est la trame, imposer à des citoyens la nécessité d’un déménagement à une période où les logements abordables sont à peu près impossibles à trouver, obliger les résidents environnants à se battre quant à la perspective de voir leur vie bouleversée et perturbée, sans les consulter et sans les informer, est-cela votre vision, est-ce cela qui « découle du souhait du conseil municipal de développer un centre-ville dynamique qui met les citoyens au cœur de ses interventions » tel qu’énoncé dans le document PPU?
Une nuisance quant à la vue et la défiguration de l’image iconique de la ville
Cet édifice s’imposera dans le décor urbain, ancré au cœur d’un site naturel exceptionnel. Non seulement défigurera-t-il « l’image » de Rivière-du-Loup et sa physionomie emblématique, mais il créera un obstacle visuel pour de nombreux résidents. Autant du haut de la passerelle Frontenac et du parc de la Croix que du parc de la Chute, cet immeuble s’imposera comme une verrue au cœur d’un paysage naturel préservé. Rappelons que la Ville a déjà investi des sommes considérables pour la conversion du Platin et qu’elle s’apprête à en faire autant pour relier le quartier Saint-Ludger au parc de la Chute.
En tant que citoyen de Rivière-du-Loup ayant récemment acquis une résidence dans le secteur, je vous demande, monsieur le maire, de convoquer une rencontre d’information pour donner l’heure juste à vos commettants en ce qui concerne les tenants et aboutissants de ce projet.
Pierre Landry
Citoyen de Rivière-du-Loup, résidant de la rue Saint-Louis