Chronique d’un écocide : l’effacement des caribous de Val-d’Or

« En 1984, 50 caribous vivaient en liberté sur un territoire de 1200 km² au sud de Val-d’Or. En 2022, neuf caribous sont incarcérés dans un enclos de concentration de 12 km².

Durant ces quatre décennies, j’ai sonné l’alarme, participé à de nombreux groupes de discussion et comités divers pour tenter de renverser la vapeur, espérant ainsi faire comprendre à nos dirigeant-es nos obligations envers les générations futures.
Car j’estime qu’il est de notre devoir de préserver et de transmettre ce joyau écologique qu’est la harde relique de Val-d’Or.

Celle-ci est unique : elle est la seule qui subsiste au sud du 48e parallèle et elle se distingue de la harde de Charlevoix, qui est le fruit d’une réintroduction.

Malgré ce déclin annoncé depuis les années 1980 par les écologistes et les Anicinapek, le ministère responsable des forêts a contrevenu malicieusement à ses propres règles en regard d’une espèce menacée dans le cas de la harde de Val-d’Or.
Ses actions, contrairement à son discours rassurant, ont plutôt accéléré la destruction de l’habitat essentiel du troupeau, le menant ainsi au seuil de l’extinction.
 »

Je commence ma critique de ce petit livre — chronique, pamphlet et essai coup de poing — en citant sa conclusion parce qu’elle est aussi claire et limpide que le reste de cette « Chronique d’un écocide : L’effacement des caribous de Val-d’Or », qu’on pourrait tout aussi bien nommer « Parcours d’un infatigable combattant écologiste » ou « Portrait de la soumission de ministres et de fonctionnaires devant l’industrie forestière ».

Henri Jacob, fondateur du REVE — Regroupement écologiste Val-d’Or et environs — et, avec Richard Desjardins, de l’Action Boréale, est un ami. Si vous lui aviez vu la face lorsque, à notre première rencontre à Val-d’Or, je lui avais dit que j’avais grandi à Rimouski sur la rue… Henri-Jacob! Henri Jacob est un ami, donc, mais d’abord et avant tout quelqu’un dont j’admire vraiment le parcours de militant activiste pour la protection de l’environnement, avec regard focalisant sur la forêt et le caribou.

L’engagement constant d’Henri Jacob est ici relaté dans une écriture simple, anecdotique et parfois moqueuse, qui s’arrime à la triste histoire de la harde de caribous la plus au sud du Québec, dont le cheptel est passé de 60 à 80 individus en 1974 à neuf en 2022. De plans d’aménagement et de rétablissement mis et remis sur la glace aux intentions de protections, ententes préalables et promesses restées sur papier, le caribou forestier de Val-d’Or a poursuivi son déclin en raison de l’appétit gargantuesque et la logique extractiviste d’une industrie trop heureuse de pouvoir compter sur la permissivité de bénis-oui-oui haut placés du ministère de la Forêt et de la Faune. Mais ce ministère n’a-t-il pas fait faire de nombreuses études par ses propres biologistes qui recommandaient toutes et tous, l’une après l’autre, de modifier les façons de faire pour sauver le caribou ? Oui, mais cause toujours, ces recommandations ont vite trouvé place sur des tables empoussiérées — avec bran de scie — du ministère. C’est encore et toujours le credo des emplois menacés, de la pseudo mise en péril même de l’industrie forestière qui l’emporte si on ose évoquer la protection de quelques parcelles de territoires. Comme si une gestion mieux contrôlée des coupes forestières qui s’inspirerait de la culture et de la philosophie holistique des Premières Nations — Nous formons ensemble le territoire; nous sommes, humains, faune et flore, le territoire — ne pouvait pas se mettre en place au moins dans des zones de vieux peuplements de conifères pour la survie des espèces.

Chronique d’un écocide : l’effacement des caribous de Val-d’Or présente une saga, un combat, des actions de sensibilisation dans les écoles — décriées, ô surprise, par un cadre de Domtar — et le parcours militant d’un homme et de ses compères et consœurs qui doit être connu, partagé et soutenu. Qui plus est, le livre est rehaussé de magnifiques illustrations d’Olivier Lasser et sa préface est signée par l’aîné Richard Kistabish, conteur et ancien chef de la communauté anicinabek de Pikogan et grand chef du Conseil Algonquin du Québec et survivant du pensionnat de Saint-Marc-de-Figuery.

« Nous, les Anicinabek, cohabitions avec ces adik [1].
Ils occupaient et occupent un espace de territoire comme nous.
Ils étaient nos compagnons dans le partage de cet espace.
Ils savaient que nous dépendions d’eux et nous pareillement.
(…)

Nous sommes toujours surpris de la ténacité de cet homme blanc!
 Il est d’une race de monde qui a vécu sur ce territoire,

ce magnifique territoire. (…)
Il restera toujours et son esprit fera partie du décor.
Ses amis le respecteront. »

– Richard Kistabish

Au bout de ces éternelles danses à deux pas en avant et quatre en arrière et ces salmigondis de bonriens — un salut ici au compère d’Henri! — nous voici à la fin de 2022, à Montréal, qui accueille la Conférence sur la biodiversité — la Cop15. Devant ses hôtes internationaux, les représentants d’un gouvernement rompu à l’économie mur à mur souriront de leurs belles grandes dents blanches, balayant sous le tapis leur triste bilan pour la protection du caribou et tentant de faire oublier qu’il y a un peu plus de deux mois, ils ont, comme toujours, fait silence radio devant les avis de la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, qui soulignait encore une fois l’urgence de protéger des grands massifs de forêt mature pour assurer la survie des hardes reliques de ce grand cervidé.

Dirons-nous sans broncher « So long, caribou »? En cette période d’après-fêtes, il me vient à l’esprit l’image du Père Noël qui doit tirer seul son traîneau… jusqu’à ce qu’il l’accroche derrière un ou deux F-150 arborant dans leurs portières le logo du ministère de la Forêt et de la Faune…


[1] Caribou, en langue anishinaabemowin