Le FLQ dans la cinématographie québécoise

Le Front de libération du Québec en 250 œuvres
Sylvain Garel, Éditions SOMME TOUTE

« Pour les Québécois, le cinéma est une manière efficace et poétique,
surtout pour un peuple qui a été conquis, d’exorciser avec sensibilité
un traumatisme collectif qui les a marqués au fer rouge et qui,
depuis, fait partie de leur identité. »
– Félix Rose, postface

Je m’intéresse depuis toujours à l’histoire du Front de libération du Québec; j’ai des souvenirs marquants de la Crise d’Octobre 1970, tant de chez moi qu’à l’école, même si je n’avais alors que 11 ans. J’attendais donc avec beaucoup d’intérêt cet ouvrage de l’historien français Sylvain Garel, professeur et critique, spécialiste de la cinématographie québécoise, qui a fondé et dirigé dans les années 1990 le Festival du cinéma québécois à Blois, en Pays-de-la-Loire.

Avant d’en débuter la lecture, je discutais avec Félix Rose, qui signe la postface du livre de Sylvain Garel, et je lui parlai comme ça d’un projet de film que je voulais faire il y a plusieurs années avec son père, Paul, un ami de longue date, et son oncle Jacques, deux « acteurs » d’Octobre 1970. Le titre de ce projet de film, pour lequel je n’avais pu obtenir le soutien pour l’écriture, était De Percé à Octobre. Je voulais montrer ce qui s’était passé entre l’été 1969 à la Maison du pêcheur, à Percé, et les évènements d’octobre 1970. « Ben oui, me dit Félix, il en parle dans le livre! » Quoi ? Garel aurait eu accès aux archives des projets refusés par le Conseil des Arts et des Lettres du Québec et le Conseil des Arts du Canada ?

Puis, je me suis souvenu que Sylvain Garel m’avait appelé il y a quelques années, comme sans doute une centaine d’autres personnes ayant écrit ou réalisé — ou ayant tenté de le faire — des documentaires, en nette majorité, ou des films de fiction, de court, moyen ou long métrage. On apprend dans ce volumineux livre de 600 pages, incluant l’index des films, celui des noms cités, la bibliographie, etc. que le FLQ a inspiré, dans le nœud même de l’histoire ou ne serait-ce qu’en filigranes, plus de 200 films. Ce à quoi on peut ajouter les nombreux livres, articles de fond ou autres écrits, des documents radiophoniques ou télévisuels, des pièces de théâtre et tutti quanti. D’où le sous-titre Le Front de libération du Québec en 250 œuvres. Ce qui ne manque pas d’impressionner quand on pense que, somme toute, le FLQ n’aura duré que 10 ans, soit de 1962 à 1972.

On y réfère bien sûr aux cinéastes majeurs que sont Pierre Falardeau, Pierre Perrault, Michel Brault, Jean-Claude Labrecque et ces autres qui avaient le Québec libre chevillé à l’âme, mais on peut maintenant, grâce à ce magistral ouvrage, avoir un tableau complet de tout ce qui a été fait autour des sujets en lien avec le FLQ et l’histoire du Québec. Car, avant de tomber dans les descriptions très détaillées de chacun des films que présente son livre, Sylvain Garel nous offre, sur 150 pages, un portrait historique fouillé et éminemment rigoureux du Québec de cette époque.

Loin d’être un simple répertoire de films, Le FLQ dans la cinématographie québécoise s’inscrit désormais comme une œuvre littéraire majeure incontournable sur l’histoire du FLQ, rejoignant en cela le livre que certains surnomment la « Bible du FLQ », FLQ Histoire d’un mouvement clandestin, de l’ex-journaliste Louis Fournier, qui fut le premier à lire sur les ondes de la radio CKAC le Manifeste du Front de Libération du Québec, ce qui lui valut d’être arrêté par la police. Louis Fournier signe d’ailleurs la préface de ce livre.

Ironiquement, c’est l’implication politique — pour les Verts — et la paternité de Sylvain Garel qui aura permis à ce livre d’être écrit et publié. Car, au début des années 2000, sa recherche exhaustive était destinée à devenir une thèse de doctorat à la Sorbonne, ce que ses obligations professionnelles et familiales l’ont empêché de réaliser. Loin de moi l’idée de minimiser l’importance des thèses universitaires, mais on peut affirmer sans risque de se tromper que Sylvain Garel rejoindra beaucoup plus de lecteurs avec son livre qu’il ne l’aurait fait dans le cénacle universitaire. Et ce, au bénéfice de la connaissance de notre histoire.

La Maison du pêcheur, la critique et le public

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Par Jacques Bérubé

J’ai pris du temps, beaucoup de temps, pour répondre à certaines critiques négatives émises — crachées, dirai-je, dans le cas de Marc Cassivi, de La Presse, — sur le film La Maison du pêcheur, sur lequel j’ai travaillé comme recherchiste, puis comme scénariste, pendant près de dix ans.

Je prends maintenant le temps de répondre à ces critiques, car, depuis le lancement du film, le 13 septembre 2013, j’ai pu prendre le pouls du public, celui qui voit le film en toute ouverture et sans idée préconçue. Après avoir échangé avec le public plus d’une dizaine de fois, à Montréal, Rimouski, La Malbaie, Carleton-sur-Mer, Percé, Montmagny, Sainte-Anne-des-Monts, Sept-Îles, j’affirme que notre film rejoint et touche les gens. Ceux qui ont vécu cette époque s’y retrouvent et ceux qui ne l’ont pas connue la découvrent avec émotion. Bref, les gens, jeunes comme vieux, aiment La Maison du pêcheur.

L’un des plus beaux commentaires que j’ai reçus est venu d’un jeune de 22 ans : « On sort de ce film les yeux un peu humides et les poings un peu serrés. »

 

Nous n’avons pas la prétention d’avoir fait un grand film. Il n’est pas sans défaut. C’est un film honnête et touchant qui a une qualité singulière, celle de présenter une page méconnue de l’histoire du Québec. La Maison du pêcheur montre, à la mesure de ses moyens, ce qui a précédé l’une des périodes les plus sombres de l’histoire du Québec, la Crise d’Octobre 1970, et présente ceux qui, quelques mois après cet été à Percé, allaient joindre le Front de libération du Québec (FLQ) et qui, sous le nom de la cellule de financement Chénier, allaient enlever le ministre Pierre Laporte et être responsables de sa mort.

Certains critiques, encore une fois Marc Cassivi au premier plan, nous ont reproché d’avoir fait du personnage de Bernard un fils de pêcheur, ce qu’il n’était pas (son père était un employé du Cégep de Gaspé). Rappelons-leur que, dès la première minute du film, il est écrit « Ce film est inspiré d’une histoire vécue. Certains évènements ont été modifiés à des fins dramatiques ». Qui plus est, cet élément fictif est clairement énoncé dans le site Internet qui présente le film. Nous avons sciemment fait de Bernard le fils d’un pêcheur gaspésien pour que le personnage par lequel nous voyons l’histoire évoluer soit aussi le porteur de la cause des pêcheurs et des gagne-petit de la Gaspésie. Les hochements de têtes que nous voyons à chaque fois que nous expliquons au public gaspésien les raisons de cette « distorsion historique », nous prouvent que nous avons eu raison de le faire.

Marc Cassivi nous a aussi reproché, deux fois plutôt qu’une, d’avoir fait des personnages caricaturaux et d’avoir présenté les opposants aux jeunes de la Maison du pêcheur en « crétins de province ». Je lui laisse l’entière paternité de cette insulte. Et je lui envoie, en pensée, une bonne claque derrière la tête, chaque fois qu’après le film, nous recevons des applaudissements nourris et que nous discutons, parfois jusqu’à 45-50 minutes, avec les gens, touchés et enthousiastes.

À Percé, à l’église, le 13 septembre dernier, 400 personnes se sont levées d’un bloc pour applaudir à tout rompre ce film et ses artisans, acteurs et producteurs. Quatre cents personnes qui étaient fières d’être montrées comme des crétins de province? Non! Ravale tes paroles, Marc Cassivi! Quatre cents personnes de Percé et quelques milliers, de bien d’autres régions, qui ont vu et aimé le film, te les retournent, bien emballées dans le papier jauni de ton journal.

Bien sûr, quand on est coupé des gens des régions zéloignées comme trop de « ces gens-là, madame », comme chantait Brel, on se met en retrait du petit peuple, celui que voulait justement rejoindre ceux de La Maison du pêcheur. Il arrive que des gens qui, comme Cassivi, ont quitté une région en bas âge — il est natif de Gaspé — se fassent le défenseur de la veuve et l’orphelin de leur alma mater pour en camoufler leur méconnaissance et leur détachement, voire même pour s’en déculpabiliser. Encore faudrait-il, pour garder un minimum de crédibilité, connaitre cette veuve et cet orphelin, s’intéresser à ce qu’ils sont et surtout, se demander ce qu’eux, qui font corps avec leur coin de pays et qui connaissent ceux qui l’habitent, ont pensé du film.

Les personnages du film qui s’opposent aux jeunes de la Maison du pêcheur sont librement inspirés de plusieurs de ceux qui, en 1969, ont participé aux deux expulsions violentes, faites à sept jours d’intervalle, avec les boyaux et un camion d’incendie de la municipalité. En passant, nous ne manquons jamais de le dire lors des échanges qui suivent le film, l’expulsion montrée dans le film — une seule, cinématographie oblige — est bien en deça de la réalité. Aucun des jeunes présents dans la maison n’a pu sortir avant l’arrosage, et les jets d’eau étaient beaucoup plus puissants que dans le film.

Quiconque veut en savoir plus long sur ces « pompiers volontaires », qui n’étaient pas tous, je le précise, des fiers-à-bras ou des personnes violentes, mais qui ont été emportés par le courant, peut consulter le site Internet où quelques-uns racontent leur expérience de l’expulsion.

En 2012, 43 ans plus tard, sur les lieux du tournage, l’homme qui a inspiré en partie le personnage d’André Duguay, joué par Luc Picard, affirme fièrement qu’il a ouvert la porte de la Maison du pêcheur, après qu’elle eut été défoncée à coups de hache, pour lancer l’expulsion sauvage des jeunes.

Un autre pose, tout aussi fièrement, à côté des boyaux du camion de pompier, en disant qu’il pouvait y avoir « jusqu’à 250 livres de pression là-dedans » et « que les jeunes et les tables revolaient partout ». Le même homme affirme toujours qu’ils ne sont pas allés trop loin!

Pire encore, à une question que je lui posais sur les souvenirs qu’il avait à propos du décès accidentel d’un jeune homme de 25 ans survenu tout près de la Maison du pêcheur en 1969, l’un des plus farouches opposants des jeunes m’avait répondu, en 2005 :

– Lui : « C’tait tu un jeune de la Maison du pêcheur ? »
– Moi : « Il n’était pas dans la gang qui tenait ça, mais il se tenait souvent là! »
– Lui : « Ben comme ça, je devais être ben content! »

Voilà.

Trente-six ans après les évènements de Percé, la hargne et le mépris contre les jeunes révolutionnaires, barbus, crottés, communistes, étaient toujours bien ancrés chez certaines personnes. Et ce sont ces personnes que j’ai rencontrées, qui m’ont parlé de leur expérience et de leur vision des choses, qui ont inspiré, n’en déplaise aux critiques, les personnages qui se battent contre la présence des jeunes de la Maison du pêcheur dans le film du même nom.

Pour conclure, je citerai l’un des jeunes comédiens du film lors d’une rencontre avec le public après une projection de La Maison du pêcheur : « Il y a de tout dans notre film : de l’histoire, du drame, de la violence, de l’amour, de l’humour. C’est peut-être ce qui a déplu à certains critiques! »

Voilà. Nous avons fait un film pour le public et non pour la critique. Et nous en sommes très fiers.