POUR QUI ? POURQUOI ?

ARTICLE PARU À LA UNE DU JOURNAL LE MOUTON NOIR, Mai-juin 2016

« Il est intéressant votre projet de réaménagement du camp musical, madame, mais il va vous falloir une étude de marché… »

« Votre projet est en tous points conforme avec les orientations stratégiques de notre ministère, messieurs, nous attendons votre plan d’affaires pour décider si nous allons de l’avant… »

Jacques Bérubé

Et pour le projet de réfection de la cathédrale Saint-Germain…

Alors que la cathédrale Saint-Germain trône depuis deux ans en plein cœur du centre-ville de Rimouski, entourée de barrières de sécurité et corsetée de filets verts pour retenir des pierres qui risquent de tomber, un groupe de gens d’affaires, de gestionnaires culturels et d’architectes ont récemment déposé un projet qui permettrait de restaurer l’église dans son ensemble, en y intégrant le projet de complexe culturel de la coopérative de solidarité Paradis, qui regroupe 14 organismes, tout en conservant un espace dévolu au culte religieux. Le projet est ambitieux, certes, mais il a toutes les chances de se concrétiser parce que, d’une part, le financement du réaménagement intérieur est pratiquement acquis par la coopérative Paradis, qui mène son projet depuis des années, et parce que, d’autre part, les projets d’infrastructures multidisciplinaires ont la cote auprès des gouvernements. Ajoutons à cela que le projet est en tous points conforme avec les objectifs du plan d’urbanisme de la Ville de Rimouski, qui vise la densification du centre-ville, et qu’il possède un extraordinaire potentiel pour enrichir et consolider la vocation de place publique culturelle du secteur de la rue Saint-Germain ouest où se trouvent déjà le Musée régional de Rimouski, la salle de spectacle, la Place-du-6-mai-1950 et la Place des anciens combattants, qu’on prévoit convertir sous peu en parc piétonnier.

Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes avec le paradis dans la cathédrale ? Et bien non. Car nous sommes à Rimouski et à Rimouski, ne l’oublions pas, qui dit projet dit contestation, opposition et polémique.

Un groupe d’opposants s’est formé et il peut compter, comme au temps de ceux qui se sont objectés durant vingt ans au projet de salle de spectacle, sur l’hebdo local qui, marchant dans les traces de son prédécesseur le Progrès-Écho — là où il y avait plus d’écho que de progrès, disait Eudore Belzile! — s’est trouvé un nouvel os à ronger et se fait fort d’attiser les braises de la contestation. Ses pages jaunes se noircissent de propos d’opposants et de sondages maison qui ont autant de valeur scientifique qu’un Big Mac a de valeur nutritive.

En gros, ce groupe d’opposants voudrait que la cathédrale soit restaurée de fond en comble et qu’on lui conserve sa vocation de lieu de culte religieux. Mais que proposent-ils comme projet, qui sont-ils et surtout, où trouveront-ils les fonds nécessaires pour le réaliser ?

Est-ce qu’on ne pourrait pas exiger, comme cela se fait pour à peu près tous les projets dans toutes les sphères de l’économie, que ces gens déposent eux aussi un projet étoffé qui serait en quelque sorte leur étude de marché ? Qui sont leurs concepteurs, leurs conseillers, leurs architectes ? Quelle expertise ont-ils ? Qui seront les utilisateurs de l’église ? Combien la fréquentaient avant la fermeture ? Combien seront-ils, l’an prochain, dans cinq ans, dans vingt ans ? Quelles activités s’y dérouleront ? Et surtout, qui seront les gestionnaires responsables de la gestion et de l’entretien de la cathédrale ? Seront-ce ceux qui lui ont fait perdre son caractère patrimonial dans les années 1960, en démantelant ses grands vitraux et en recouvrant de gypse ses murs intérieurs faits de bois lambrissé ? Seront-ce ceux qui ont laissé la cathédrale se dégrader dans les dernières années, jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans son état actuel ? Voici les questions auxquelles doivent répondre les opposants au projet de réfection de la cathédrale qui est actuellement sur la table des décideurs publics et que même l’archevêque de Rimouski, Denis Grondin, appuie et défend ardemment.

N’en déplaise à ces opposants, la communauté chrétienne pratiquante ne possède plus la masse critique pour pouvoir exiger que les autorités, religieuses ou gouvernementales, lui confèrent les droits exclusifs d’utilisation de la cathédrale Saint-Germain. Et ceux qui prétendent représenter cette communauté sont loin d’avoir fait la preuve de leurs compétences d’administrateurs du bien public. La cathédrale appartient à l’ensemble de la population rimouskoise, croyants, non-croyants, pratiquants et non-pratiquants, et le bâtiment doit servir à une majorité de citoyens. Par ailleurs, peut-être faut-il rappeler à ces opposants fidèles que l’un des grands préceptes chrétiens dit que l’église doit ouvrir ses portes à toutes et tous ?

La coopérative Paradis pourrait bien décider de retirer ses billes — un joli sac de 9 millions $, ne l’oublions pas — pour aller se faire construire ailleurs, plutôt que de voir son projet de complexe culturel au centre-ville se faire embourber dans un magma de disputes politico-spirituelles sans fin. Où ceux qui tiennent mordicus au caractère religieux exclusif de la cathédrale trouveraient-ils alors les 15 ou 20 millions nécessaires à sa réfection ? On a beau croire aux miracles…

Bien sûr, on pourrait aussi continuer à regarder avec honte la cathédrale corsetée s’effriter pendant quelques années, puis en vendre les reliques morceau par morceau. Ou bien attendre qu’un riche promoteur immobilier s’amène pour la convertir en condos de luxe, comme ça s’est fait avec bien des églises de Québec et de Montréal.

Rimouski a souffert bien assez longtemps de l’immobilisme de ses conseils municipaux des années 1980 et 1990 et de la politique des bâtons dans les roues de ceux qui se font un devoir de freiner le développement. Il est temps que la majorité se tanne d’être silencieuse et qu’elle mette l’épaule à la roue pour appuyer les promoteurs des projets qui font avancer la ville et la région.

Lettre à ma fille : Désarroi et désillusion

Ma très chère fille,

Tu m’as dit sans détour — ce n’est pas ton genre, tu es ma fille! — que tu n’as pas aimé mes réactions et celles d’autres personnes de ma génération pendant la dernière campagne électorale quand nous avons vu les libéraux remonter dans les sondages pour finalement reprendre le pouvoir après seulement 18 mois de « purgatoire ». Pourtant, je n’ai exprimé mon désarroi et ma désillusion devant ce que je considérais comme une menace aux valeurs sociales et politiques que je défends depuis toujours de la même façon que je le fais souvent, avec dérision et cynisme, par des montages photographiques sur ma page Fesse de bouc. Et, chère fille que j’adore, admets-le, je n’ai pas été plus méchant que bien d’autres et je me suis sûrement plus amusé. Le vieux gauchiste que je suis, désabusé de la politique actuelle, si peu porteuse d’espoir et toute tournée vers le cocooning et les valeurs individuelles aurait pu faire pire.

Je récris ces mots, ma fille d’amour, pour que tu les saisisses bien : désarroi et désillusion. Auxquels j’ajouterai perte de confiance envers le peuple votant et déception totale devant son niveau d’intérêt et de compréhension des enjeux de notre société québécoise. Et le désarroi et la désillusion, ma chérie, c’est comme certains autres bobos, ça fait beaucoup plus mal dans la cinquantaine!!!

Tu as écrit que les gens de notre âge manquaient de respect dans leurs attaques contre les fédéralistes. Mais tu as aussi écris : « (…) peut-être que je penserais différemment si j’avais connu Lévesque ». Je te confirme que oui et j’ajoute que je suis touché et fier qu’à ton âge, tu puisses référer à René Lévesque et aussi à Jacques Parizeau que tu vois comme « un vrai et un grand ». Parce que les indépendantistes de mon âge sont tous filles et fils de Lévesque et de Parizeau. Ces deux-là, par des chemins différents, ont fait avancer plus que quiconque le Québec en portant toujours bien haut le projet d’un pays. Et ils étaient épaulés en cela par des Camille Laurin, Lise Payette, Bernard Landry et autres femmes et hommes politiques — et non politiciens — de haut niveau. Et nous y avons cru en ce pays en devenir qui s’appuyait alors sur un véritable projet de société : équitable, juste, humaniste et social-démocrate pour de vrai! Et comment que nous y avons cru!

Pour que tu comprennes bien ce qui a lentement et insidieusement mis en place ce qui cause aujourd’hui notre désarroi et notre désillusion, je t’écris en quelques mots ce que nous avons vécu dans les 40 dernières années.

15 novembre 1976 : René Lévesque et le Parti Québécois prennent le pouvoir de façon triomphale en battant les Libéraux de Robert Bourassa qui avaient pourtant fait élire, trois ans plus tôt, 102 députés sur 108. «Je n’ai jamais pensé que je pouvais être aussi fier d’être Québécois… que ce soir. On n’est pas un petit peuple, on est peut-être quelque chose comme un grand peuple!», nous lance alors René Lévesque de la tribune du Centre Paul-Sauvé, accompagné de nombreux nouveaux élus qui formeront avec lui ce qui est toujours considéré comme l’un des meilleurs gouvernements de l’histoire du Québec.

20 mai 1980 : Premier référendum, première défaite amère. J’avais 21 ans, plus jeune que toi aujourd’hui, et j’avais déjà la passion du pays du Québec au cœur depuis longtemps. 60 % de la population ont dit non à une trop longue question qui parlait plus de négociations que de pays, question qui avait été concoctée par l’un des bras droits de René Lévesque qui travaillait pour les services secrets canadiens depuis plus de vingt ans. Et à fourbe, fourbe et demi, le premier sinistre canadian Trudeau, qui avait fait emprisonner sans mandat plus de 500 personnes dix ans plus tôt avec la loi sur les mesures de guerre, avait faussement mis en jeu les sièges de ses fédérastes dépités du Québec en demandant aux Québécois de miser une autre fois sur le fédéralisme qu’il promettait de renouveler.

Petit baume de fierté au cœur en cette triste soirée : aux côtés des irréductibles Gaulois du Saguenay et du Lac-St-Jean, Rimouski a été l’un des six comtés du Québec où le OUI l’a emporté, avec 54 % du vote.

1982 : la Nuit des longs couteaux. Manipulés par le fou du roi de Trudeau, Jean Chrétien, les Premiers ministres des provinces canadiennes renient les ententes prises avec le Québec et signent en pleine nuit une constitution « renouvelée » à la sauce Trudeau-Chrétien qui affaiblit et isole le Québec. C’est le début de la fin pour René, qui démissionnera en 1985 et mourra subitement le 1er novembre 1987, laissant tout notre non-pays dans un deuil d’une tristesse inouïe. Même ton grand-papa, ma schnoupine, qui était fédéraliste à tout crin, m’avait alors avoué son chagrin de voir partir ce grand homme.

La mort du père du PQ incite Jacques Parizeau, qui avait quitté la politique en 1984, à revenir. Il prend la tête du parti en 1988. Le rêve renait et clairement, ce chef ne passera pas par quatre chemins pour nous y mener. Le PQ reprend le pouvoir en 1994 et Parizeau promet un référendum dès l’année suivante.

30 octobre 1995 : Deuxième référendum, campagne enlevante. Le chef du Bloc québécois Lucien Bouchard a rejoint Jacques Parizeau sur les tribunes du OUI qui mène invariablement dans les sondages. Paniqués, les Chrétien, Johnson et Charest prennent les grands moyens, faisant fi des règles. Pour « sauver » le Canada, tous les coups étaient permis : certificats de citoyenneté émis en grand nombre à la hâte aux nouveaux immigrants — « il faudra voter non, sinon… » —, « love-in » d’anglophones qui n’étaient jamais venus au Québec et qui n’en avaient rien à foutre mais qui ont profité des voyages gratuits offerts — dépenses non comptabilisées dans la campagne du NON— par Air Canada, Via Rail, all canadian etc — pour venir chanter faux la pomme aux Québécois le temps d’une brosse à Montréal sur le bras du fédéral. « We love you [dear fuckin’ frog], stay with us, we need you, please don’t separate! »

OUI : 49,4 % NON 50,6 %
54 000 votes de différence sur 4 671 000 votants.

N’ayant pu atteindre ce qui était son objectif ultime, Jacques Parizeau démissionne. Lucien Bouchard lui succède. Alors tranquillement, après ces coups durs, le projet a commencé à s’effriter et à n’être plus porteur des visions et façons de penser et de vivre qui constituaient sa base. Le Parti Québécois a commencé à dévier de l’objectif qui avait été le sien depuis sa création et qui aurait dû rester sa première raison d’être, l’indépendance du Québec. On nous serinait de bonne gouvernance, de déficit zéro, de conditions gagnantes, mais point de pays. On nous parlait bien de temps en temps de référendum, mais pas d’indépendance. Comme un charpentier qui nous parlerait de son marteau sans vouloir nous dire ce qu’il construira avec…

Puis Lucien Bouchard a quitté à son tour et Bernard Landry, ancien jeune péquiste devenu vieux de la vieille, a bravement pris la relève.

2003, désastre : Gros Jean comme de vent Charest et ses Rackham le Rouge prennent le pouvoir. Bonjour le favoritisme et la corruption érigée en système, au revoir les idées. Peu après, Bernard Landry a aussi quitté, victime de l’ère des spin doctors faiseurs d’images, pseudo professionnels de la stratégie et du marketing, venus en politique plus par ambition carriériste que par conviction. Conviction, ouate de phoque? Où achète-t-on cela ?

S’est alors amorcé la descente : le PQ a commencé à avoir peur de l’ombre de son option. Moins on en parlerait, mieux on se porterait. Lucien Bouchard était devenu un Père Fouettard se croyant plus lucide que le peuple et mangeait du Québécois pendant qu’un éphémère chef passait en coup de vent, le temps de quelques sourires et de plusieurs phrases creuses.

Et Pauline Marois est arrivée. On la surnomme la Dame de béton. Femme politique de grande expérience, mais très tiède souverainiste, elle réussit à devenir la première femme Première ministre du Québec. Durant 18 mois. Puis, elle s’effondre comme un viaduc de Montréal, aussi fait de béton.

Alors ma fille, voici où nous en sommes, en 2014 : le parti dans lequel nous avons cru trop naïvement et sans doute trop longtemps a lamentablement échoué à souffler sur les braises de la foi souverainiste, trop occupé qu’il était à vouloir le pouvoir et à parler de gouvernance et le vieux parti libéral est revenu au pouvoir, majoritaire de surcroit, élu par le bon peuple prêt à oublier pour acheter un semblant de stabilité — les vraies affaires! — à quel point Jean Charest avait malmené le Québec pendant neuf années.

Bien sûr, le PQ n’avait pas tout réglé d’un coup de baguette magique. Mais on n’a pas donné une bien grande chance au coureur. Tu me diras que c’est le PQ qui a décidé d’aller en élection en misant sur un piètre projet de charte plutôt que sur la souveraineté et tu auras raison. Mais maintenant, les jeux sont faits. Et pour longtemps.

Oui, Philippe Couillard se comporte dignement depuis son élection et il est infiniment plus respectable que son prédécesseur — la barre n’était pas haute —, mais je reste comme mes compagnons d’âge et de combat : amer, désillusionné et désabusé. Nous nous retrouvons non seulement orphelins d’un grand projet, mais aussi hébétés devant les tournures qu’a pris le courant politique dans les dernières années : droite conservatrice religieuse et réactionnaire au Canada et néolibéralisme pro-économie et valeurs individuelles au Québec.

Et les filles et fils de Lévesque et Parizeau que nous sommes vivons encore une fois un profond deuil; deuil du pays en lequel nous croyions et deuil des valeurs qui soutenaient ce grand projet.

Entrevue sur le sujet avec Jean-François Morency de Versus Radio : http://www.versusradio.net/downloads/files/156649/

La Maison du pêcheur, la critique et le public

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Par Jacques Bérubé

J’ai pris du temps, beaucoup de temps, pour répondre à certaines critiques négatives émises — crachées, dirai-je, dans le cas de Marc Cassivi, de La Presse, — sur le film La Maison du pêcheur, sur lequel j’ai travaillé comme recherchiste, puis comme scénariste, pendant près de dix ans.

Je prends maintenant le temps de répondre à ces critiques, car, depuis le lancement du film, le 13 septembre 2013, j’ai pu prendre le pouls du public, celui qui voit le film en toute ouverture et sans idée préconçue. Après avoir échangé avec le public plus d’une dizaine de fois, à Montréal, Rimouski, La Malbaie, Carleton-sur-Mer, Percé, Montmagny, Sainte-Anne-des-Monts, Sept-Îles, j’affirme que notre film rejoint et touche les gens. Ceux qui ont vécu cette époque s’y retrouvent et ceux qui ne l’ont pas connue la découvrent avec émotion. Bref, les gens, jeunes comme vieux, aiment La Maison du pêcheur.

L’un des plus beaux commentaires que j’ai reçus est venu d’un jeune de 22 ans : « On sort de ce film les yeux un peu humides et les poings un peu serrés. »

 

Nous n’avons pas la prétention d’avoir fait un grand film. Il n’est pas sans défaut. C’est un film honnête et touchant qui a une qualité singulière, celle de présenter une page méconnue de l’histoire du Québec. La Maison du pêcheur montre, à la mesure de ses moyens, ce qui a précédé l’une des périodes les plus sombres de l’histoire du Québec, la Crise d’Octobre 1970, et présente ceux qui, quelques mois après cet été à Percé, allaient joindre le Front de libération du Québec (FLQ) et qui, sous le nom de la cellule de financement Chénier, allaient enlever le ministre Pierre Laporte et être responsables de sa mort.

Certains critiques, encore une fois Marc Cassivi au premier plan, nous ont reproché d’avoir fait du personnage de Bernard un fils de pêcheur, ce qu’il n’était pas (son père était un employé du Cégep de Gaspé). Rappelons-leur que, dès la première minute du film, il est écrit « Ce film est inspiré d’une histoire vécue. Certains évènements ont été modifiés à des fins dramatiques ». Qui plus est, cet élément fictif est clairement énoncé dans le site Internet qui présente le film. Nous avons sciemment fait de Bernard le fils d’un pêcheur gaspésien pour que le personnage par lequel nous voyons l’histoire évoluer soit aussi le porteur de la cause des pêcheurs et des gagne-petit de la Gaspésie. Les hochements de têtes que nous voyons à chaque fois que nous expliquons au public gaspésien les raisons de cette « distorsion historique », nous prouvent que nous avons eu raison de le faire.

Marc Cassivi nous a aussi reproché, deux fois plutôt qu’une, d’avoir fait des personnages caricaturaux et d’avoir présenté les opposants aux jeunes de la Maison du pêcheur en « crétins de province ». Je lui laisse l’entière paternité de cette insulte. Et je lui envoie, en pensée, une bonne claque derrière la tête, chaque fois qu’après le film, nous recevons des applaudissements nourris et que nous discutons, parfois jusqu’à 45-50 minutes, avec les gens, touchés et enthousiastes.

À Percé, à l’église, le 13 septembre dernier, 400 personnes se sont levées d’un bloc pour applaudir à tout rompre ce film et ses artisans, acteurs et producteurs. Quatre cents personnes qui étaient fières d’être montrées comme des crétins de province? Non! Ravale tes paroles, Marc Cassivi! Quatre cents personnes de Percé et quelques milliers, de bien d’autres régions, qui ont vu et aimé le film, te les retournent, bien emballées dans le papier jauni de ton journal.

Bien sûr, quand on est coupé des gens des régions zéloignées comme trop de « ces gens-là, madame », comme chantait Brel, on se met en retrait du petit peuple, celui que voulait justement rejoindre ceux de La Maison du pêcheur. Il arrive que des gens qui, comme Cassivi, ont quitté une région en bas âge — il est natif de Gaspé — se fassent le défenseur de la veuve et l’orphelin de leur alma mater pour en camoufler leur méconnaissance et leur détachement, voire même pour s’en déculpabiliser. Encore faudrait-il, pour garder un minimum de crédibilité, connaitre cette veuve et cet orphelin, s’intéresser à ce qu’ils sont et surtout, se demander ce qu’eux, qui font corps avec leur coin de pays et qui connaissent ceux qui l’habitent, ont pensé du film.

Les personnages du film qui s’opposent aux jeunes de la Maison du pêcheur sont librement inspirés de plusieurs de ceux qui, en 1969, ont participé aux deux expulsions violentes, faites à sept jours d’intervalle, avec les boyaux et un camion d’incendie de la municipalité. En passant, nous ne manquons jamais de le dire lors des échanges qui suivent le film, l’expulsion montrée dans le film — une seule, cinématographie oblige — est bien en deça de la réalité. Aucun des jeunes présents dans la maison n’a pu sortir avant l’arrosage, et les jets d’eau étaient beaucoup plus puissants que dans le film.

Quiconque veut en savoir plus long sur ces « pompiers volontaires », qui n’étaient pas tous, je le précise, des fiers-à-bras ou des personnes violentes, mais qui ont été emportés par le courant, peut consulter le site Internet où quelques-uns racontent leur expérience de l’expulsion.

En 2012, 43 ans plus tard, sur les lieux du tournage, l’homme qui a inspiré en partie le personnage d’André Duguay, joué par Luc Picard, affirme fièrement qu’il a ouvert la porte de la Maison du pêcheur, après qu’elle eut été défoncée à coups de hache, pour lancer l’expulsion sauvage des jeunes.

Un autre pose, tout aussi fièrement, à côté des boyaux du camion de pompier, en disant qu’il pouvait y avoir « jusqu’à 250 livres de pression là-dedans » et « que les jeunes et les tables revolaient partout ». Le même homme affirme toujours qu’ils ne sont pas allés trop loin!

Pire encore, à une question que je lui posais sur les souvenirs qu’il avait à propos du décès accidentel d’un jeune homme de 25 ans survenu tout près de la Maison du pêcheur en 1969, l’un des plus farouches opposants des jeunes m’avait répondu, en 2005 :

– Lui : « C’tait tu un jeune de la Maison du pêcheur ? »
– Moi : « Il n’était pas dans la gang qui tenait ça, mais il se tenait souvent là! »
– Lui : « Ben comme ça, je devais être ben content! »

Voilà.

Trente-six ans après les évènements de Percé, la hargne et le mépris contre les jeunes révolutionnaires, barbus, crottés, communistes, étaient toujours bien ancrés chez certaines personnes. Et ce sont ces personnes que j’ai rencontrées, qui m’ont parlé de leur expérience et de leur vision des choses, qui ont inspiré, n’en déplaise aux critiques, les personnages qui se battent contre la présence des jeunes de la Maison du pêcheur dans le film du même nom.

Pour conclure, je citerai l’un des jeunes comédiens du film lors d’une rencontre avec le public après une projection de La Maison du pêcheur : « Il y a de tout dans notre film : de l’histoire, du drame, de la violence, de l’amour, de l’humour. C’est peut-être ce qui a déplu à certains critiques! »

Voilà. Nous avons fait un film pour le public et non pour la critique. Et nous en sommes très fiers.

Rhétorique, démagogie, opportunisme et… accessibilité

Par Jacques Bérubé

La rhétorique au service de la propagande
50 cennes par jour..! Le PLQ, sous le règne de Jean Charest, montre encore une fois, par l’utilisation de ce slogan populiste et combien mensonger, tout ce qu’il est prêt à faire pour se gagner l’opinion publique, tout autant que la vision économiste qu’a son gouvernement de l’éducation. Une fois partis, allons-y donc pour « Étudiez maintenant et payez dans un an » ou pourquoi pas, « Faites un baccalauréat, ajoutez une cenne et obtenez en deux ».

La même distorsion des faits par les mots employés s’applique quand ils parlent du financement des universités plutôt que de la hausse des frais de scolarité.

Parlons d’équité.
Qui osera prétendre qu’un projet qui fait payer davantage, année après année, les jeunes d’une société est équitable ? Puisque cela semble être le langage privilégié par le gouvernement Charest, laissons parler les chiffres. Dans l’éventualité où s’appliquerait la hausse ascenseur que le gouvernement veut imposer aux étudiants à partir de l’automne prochain, un jeune qui débuterait en 2012 subirait une hausse — s’ajoutant, ne l’oublions jamais, aux frais déjà établis — de 255 $ pour sa première année, puis, de 510 $ et de 765 $ pour les deux suivantes, pour un total de hausse de 1 920 $ pour trois ans. Celui qui commencerait en 2015 se taperait des augmentations de 1020 $, 1275 $ et 1530 $, pour une hausse totale de 3825 $, soit pratiquement le double de notre premier exemple, celui qui a terminé — si tout a bien été ! — au printemps 2015. Par la suite, chaque année d’université coûterait, selon le plan Charest-Beauchamp, 1785 $ de plus qu’aujourd’hui, donc 5355 $ pour trois ans et 7140 $ pour quatre ans.

Et ce calcul ne nous dit pas quelle partie de ces frais s’ajoutera à l’endettement déjà important des étudiants. Chaque ville du Québec n’est pas dotée d’une université; Montréal en a quatre, dont deux sont, pour ainsi dire, réservées à des « clientèles » — ici, ce mot s’applique vraiment — très aisées, Québec en a une, Sherbrooke en a deux — dont l’une, francophone, possède un campus, combien chic, à Longueuil — puis, le réseau des Universités du Québec, avec une quinzaine d’établissements, campus et centres spécialisés. Donc, en tout et partout, un peu plus de 20 institutions universitaires pour approximativement 1 200 municipalités, villages, villes, cantons et paroisses, disséminés dans un territoire immense, divisé en 17 régions administratives. Un très grand nombre d’étudiants doivent donc s’installer, pour quelques années, dans une ville dotée d’une université et payer, le plus souvent le gros prix, pour un logement, ses frais de subsistance et de loisirs et, oui, pour son iPhone — un outil de travail et de communication, quoi qu’on en dise ou en pense, son service Internet et le reste.

Si au moins on avait le courage politique et social d’admettre qu’avec un tel projet de hausse des frais de scolarité, notre société refuse que ceux qui ont aujourd’hui 20 ans et moins bénéficient du même régime d’accessibilité aux études que les dernières générations et qu’ils seront ceux qui paieront pour des incuries administratives dans les gestion des universités et pour le maintien des cadeaux fiscaux faits aux grandes entreprises et aux banques par les gouvernements.

Opportuniste ? Qui est opportuniste ?
La semaine dernière, la chef du Parti québécois, Pauline Marois, a annoncé que, s’il était élu, son parti ne ferait qu’indexer les frais de scolarité, en lieu et place de la hausse de 82 % prônée par les libéraux de Jean Charest. Il n’en fallait pas plus pour que de partout, les tenants de la hausse se lancent dans une pluie d’insultes de tout acabit envers le PQ. Et le mot qui revenait le plus souvent était opportunisme.

Désolé, mais, ce projet est tout sauf opportuniste. Et mon affirmation n’est en rien partisane. En politique, on est opportuniste quand on adopte des positions qui vont « dans le sens du vent », c’est-à-dire qui visent à racoler des électeurs en leur serinant ce qu’ils veulent bien entendre. Or, avec toute la désinformation que fait le Parti libéral depuis le début de la crise étudiante, celui-ci a, sans contredit réussi à faire qu’aujourd’hui, une majorité de Québécois sont en faveur d’une hausse importante des frais de scolarité. Selon les derniers sondages, près de 70 % de la population appuie la position gouvernementale de hausser les frais de scolarité. Alors, qu’on ne vienne pas dire que le PQ est opportuniste en prenant une position qui, à ce stade-ci, va à l’encontre de l’opinion générale. C’est même tout le contraire de l’opportunisme.

Le PQ propose une disposition qui représente ni plus ni moins qu’un choix de société. Une société qui décide de sortir du lot nord-américain, en prenant des positions qui, à l’instar de plusieurs pays d’Europe, favorisent l’accessibilité aux études supérieures.

Une société qui se respecte et surtout, qui respecte ses jeunes, ne devrait pas prendre la voie que veut lui imposer son gouvernement sortant, qui vise à faire payer ceux-ci de plus en plus cher, année après année, leurs études universitaires. Les conséquences à moyen et à long terme pour notre société seraient lourdes à porter.

Le Temps des scabs

Par Jacques Bérubé

Il y a quelque chose de pervers dans le tournant que tente de faire prendre le gouvernement Charest au conflit qui l’oppose aux centaines de milliers d’étudiants qui poursuivent leur GRÈVE contre une hausse abusive — 75 % en cinq ans — des frais de scolarité. J’écris GRÈVE en majuscules pour faire ma petite part afin de redonner son sens à ce mot que, dans le climat qu’installent depuis quelques semaines les tenants de la hausse, gouvernement, recteurs, entrepreneurs et étudiants, on tend à remplacer par « boycott des cours », comme pour prétendre que les étudiants ne bloquent rien et qu’ils sont les seuls perdants dans ce conflit.

« On ne doit pas céder le pas à l’intimidation », a affirmé le premier ministre, avant de se demander : « Dans quelle sorte de société on vit, si on accepte que des personnes sont intimidées parce qu’elles veulent aller étudier? » M. Charest a rappelé que « le Québec venait de faire un gros débat dans le domaine de la construction, on ne veut pas ça pour ailleurs, dans un autre secteur d’activité ». Ah oui? Un gros débat dans le domaine de la construction ? Où ça ? Quand ça ? Le seul débat dont nous nous souvenons, ce sont les incessantes pressions qu’ont dû faire des représentants de presque tous les secteurs de la société québécoise pour que le gouvernement Charest accepte enfin de tenir une enquête publique sur la corruption dans cette industrie.

Cette déclaration de Jean Charest, qui associe un mouvement de grève dûment entériné en assemblée à de l’intimidation, comme celle de la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, qui affirme que le mouvement étudiant n’est pas un mouvement de grève et que les étudiants qui veulent assister à leurs cours sont en plein droit de le faire, pue le déni du droit de grève. S’il y a intimidation quelque part, elle est politique et vient du gouvernement Charest. On peut évoquer l’intimidation politique quand un gouvernement décrète qu’il faut tout mettre en oeuvre pour que les étudiants, qui sont contre la grève et/ou pour la hausse des frais et qui, est-il utile de le rappeler, sont MINORITAIRES au sens de la démocratie, puissent, comme le dit la ministre Beauchamp, « exercer leur droit de recevoir leurs cours ».

C’est ce genre de pensée, plus affairiste et économique que politique, qui pousse des étudiants à déposer, sur une base individuelle, des injonctions qui visent à forcer, qui les étudiants en grève à cesser le piquetage, qui les institutions scolaires et les professeurs à reprendre les cours. Ce type de comportement, foncièrement anti-syndical et anti-collectiviste, pourrait-il s’étendre dans le milieu du travail ? Verra-t-on des travailleurs judiciariser des conflits de travail en poursuivant leurs syndicats pour casser un mouvement de grève légale et retourner au travail ? À lire et entendre les réactions de Jean Charest et de Line Beauchamp, il y a tout lieu de croire que c’est ce qu’ils souhaitent.

Diviser pour régner et, qui plus est, diviser par son plus petit dénominateur, l’individu, est bel et bien l’avenue que le gouvernement de Jean Charest et de Line Beauchamp ont choisie de prendre pour mâter la contestation qui n’est plus qu’étudiante, mais bien sociétale et nationale.

De partout, des voix s’élèvent et des mouvements sociaux se forment pour, entre autres choses, réclamer la démission de Line Beauchamp. Elle ne démissionnera pas, loin s’en faut, mais, au mieux, elle se retrouvera sous peu sur les banquettes de l’opposition.

Bon vent, madame!