POUR QUI ? POURQUOI ?

ARTICLE PARU À LA UNE DU JOURNAL LE MOUTON NOIR, Mai-juin 2016

« Il est intéressant votre projet de réaménagement du camp musical, madame, mais il va vous falloir une étude de marché… »

« Votre projet est en tous points conforme avec les orientations stratégiques de notre ministère, messieurs, nous attendons votre plan d’affaires pour décider si nous allons de l’avant… »

Jacques Bérubé

Et pour le projet de réfection de la cathédrale Saint-Germain…

Alors que la cathédrale Saint-Germain trône depuis deux ans en plein cœur du centre-ville de Rimouski, entourée de barrières de sécurité et corsetée de filets verts pour retenir des pierres qui risquent de tomber, un groupe de gens d’affaires, de gestionnaires culturels et d’architectes ont récemment déposé un projet qui permettrait de restaurer l’église dans son ensemble, en y intégrant le projet de complexe culturel de la coopérative de solidarité Paradis, qui regroupe 14 organismes, tout en conservant un espace dévolu au culte religieux. Le projet est ambitieux, certes, mais il a toutes les chances de se concrétiser parce que, d’une part, le financement du réaménagement intérieur est pratiquement acquis par la coopérative Paradis, qui mène son projet depuis des années, et parce que, d’autre part, les projets d’infrastructures multidisciplinaires ont la cote auprès des gouvernements. Ajoutons à cela que le projet est en tous points conforme avec les objectifs du plan d’urbanisme de la Ville de Rimouski, qui vise la densification du centre-ville, et qu’il possède un extraordinaire potentiel pour enrichir et consolider la vocation de place publique culturelle du secteur de la rue Saint-Germain ouest où se trouvent déjà le Musée régional de Rimouski, la salle de spectacle, la Place-du-6-mai-1950 et la Place des anciens combattants, qu’on prévoit convertir sous peu en parc piétonnier.

Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes avec le paradis dans la cathédrale ? Et bien non. Car nous sommes à Rimouski et à Rimouski, ne l’oublions pas, qui dit projet dit contestation, opposition et polémique.

Un groupe d’opposants s’est formé et il peut compter, comme au temps de ceux qui se sont objectés durant vingt ans au projet de salle de spectacle, sur l’hebdo local qui, marchant dans les traces de son prédécesseur le Progrès-Écho — là où il y avait plus d’écho que de progrès, disait Eudore Belzile! — s’est trouvé un nouvel os à ronger et se fait fort d’attiser les braises de la contestation. Ses pages jaunes se noircissent de propos d’opposants et de sondages maison qui ont autant de valeur scientifique qu’un Big Mac a de valeur nutritive.

En gros, ce groupe d’opposants voudrait que la cathédrale soit restaurée de fond en comble et qu’on lui conserve sa vocation de lieu de culte religieux. Mais que proposent-ils comme projet, qui sont-ils et surtout, où trouveront-ils les fonds nécessaires pour le réaliser ?

Est-ce qu’on ne pourrait pas exiger, comme cela se fait pour à peu près tous les projets dans toutes les sphères de l’économie, que ces gens déposent eux aussi un projet étoffé qui serait en quelque sorte leur étude de marché ? Qui sont leurs concepteurs, leurs conseillers, leurs architectes ? Quelle expertise ont-ils ? Qui seront les utilisateurs de l’église ? Combien la fréquentaient avant la fermeture ? Combien seront-ils, l’an prochain, dans cinq ans, dans vingt ans ? Quelles activités s’y dérouleront ? Et surtout, qui seront les gestionnaires responsables de la gestion et de l’entretien de la cathédrale ? Seront-ce ceux qui lui ont fait perdre son caractère patrimonial dans les années 1960, en démantelant ses grands vitraux et en recouvrant de gypse ses murs intérieurs faits de bois lambrissé ? Seront-ce ceux qui ont laissé la cathédrale se dégrader dans les dernières années, jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans son état actuel ? Voici les questions auxquelles doivent répondre les opposants au projet de réfection de la cathédrale qui est actuellement sur la table des décideurs publics et que même l’archevêque de Rimouski, Denis Grondin, appuie et défend ardemment.

N’en déplaise à ces opposants, la communauté chrétienne pratiquante ne possède plus la masse critique pour pouvoir exiger que les autorités, religieuses ou gouvernementales, lui confèrent les droits exclusifs d’utilisation de la cathédrale Saint-Germain. Et ceux qui prétendent représenter cette communauté sont loin d’avoir fait la preuve de leurs compétences d’administrateurs du bien public. La cathédrale appartient à l’ensemble de la population rimouskoise, croyants, non-croyants, pratiquants et non-pratiquants, et le bâtiment doit servir à une majorité de citoyens. Par ailleurs, peut-être faut-il rappeler à ces opposants fidèles que l’un des grands préceptes chrétiens dit que l’église doit ouvrir ses portes à toutes et tous ?

La coopérative Paradis pourrait bien décider de retirer ses billes — un joli sac de 9 millions $, ne l’oublions pas — pour aller se faire construire ailleurs, plutôt que de voir son projet de complexe culturel au centre-ville se faire embourber dans un magma de disputes politico-spirituelles sans fin. Où ceux qui tiennent mordicus au caractère religieux exclusif de la cathédrale trouveraient-ils alors les 15 ou 20 millions nécessaires à sa réfection ? On a beau croire aux miracles…

Bien sûr, on pourrait aussi continuer à regarder avec honte la cathédrale corsetée s’effriter pendant quelques années, puis en vendre les reliques morceau par morceau. Ou bien attendre qu’un riche promoteur immobilier s’amène pour la convertir en condos de luxe, comme ça s’est fait avec bien des églises de Québec et de Montréal.

Rimouski a souffert bien assez longtemps de l’immobilisme de ses conseils municipaux des années 1980 et 1990 et de la politique des bâtons dans les roues de ceux qui se font un devoir de freiner le développement. Il est temps que la majorité se tanne d’être silencieuse et qu’elle mette l’épaule à la roue pour appuyer les promoteurs des projets qui font avancer la ville et la région.

Musique et mots pour la tête et le coeur

Comme j’occupe maintenant un emploi à temps plein, j’ai beaucoup moins de temps à consacrer à mon blogue. Mais… un texte paru plusieurs semaines avant la dernière élection fédérale, ça commence quand même à faire, comme on dit…

Je reproduis donc ici deux critiques parues dans le journal Le Mouton NOIR dans les dernières semaines. La première parle d’un magnifique disque de jazz, GLORIA, du guitariste et compositeur montréalais Sylvain Picard et la seconde porte sur le recueil des « Chroniques d’un faux docteur de campagne » écrites par Pierre «Docteur» Landry, parues dans Le Mouton NOIR de 1999 à 2015,

Je vous souhaite beaucoup de bonheur à écouter et lire ces deux belles oeuvres.

GLORIA

Sylvain Picard
Note Musik

Sylvain Picard est l’un des secrets les mieux gardés du jazz au Québec. Et comme le jazz au Québec relève parfois lui-même du secret, notre type, guitariste compositeur de son état, commence à être difficile à tracer. Bien sûr, la présence d’un bon et grand festival de jazz en cette cité — dite du bonheur — de Rimouski pourrait aider à la découverte, mais… pas t’encore. Mèche allumée.

J’ai connu Sylvain Picard par l’album de son trio, Airs à faire frire, librement inspiré de la suite Airs à faire fuir d’Érik Satie et saluant tout autant son professeur de kung fu que Saint-Exupéry et les réalisateurs de films expérimentaux. Une belle trouvaille qui rappelait au vieux rocker que je suis une certaine époque de King Crimson mais aussi la musique bigarrée dite « jazz blanc » des Terje Rypdal et autres Abercrombie de l’écurie ECM.

Sa dernière œuvre, Gloria, a été produite par Note Musik, de Rimouski. La composition et l’enregistrement —impeccable! — de Gloria découle d’une commande de « messe jazz de rite catholique romain » reçue de l’église Gésu, qui est aussi une salle de production culturelle, de Montréal. Mais attention, ce n’est pas un disque pour grenouilles de bénitier et les amateurs de belle musique, mécréants compris, y trouveront leur compte. C’est un album concept défini par son compositeur comme « une suite jazz luxuriante de 10 films pour l’oreille joués par quatre musiciens complices ». Outre Sylvain Picard à la guitare et à la composition, les autres célébrants — ceci était ma dernière allusion cléricale  — sont Yannick Rieu aux saxophones, Maxime St-Pierre à la trompette et au flügelhorn et Guy Boisvert à la contrebasse. Belle brochette!

Oui, les titres réfèrent à une messe : Kyrie, Agnus Dei, Offertoire, Psaume, Action de Grâce, etc. mais j’oserais dire que ce sont là les seules référence à l’église. Dans le livret, Sylvain Picard parle de l’une de ses intentions de création — pour la pièce Alléluia — : dépeindre musicalement l’émotion vivifiante que l’on ressent en contemplant les jeux d’ombre et de lumière dans les feuilles, les fleurs et les fruits d’un arbre luxuriant.

Ça coule, ça transporte, ça touche, ça atteint son but. Nous sommes avec Gloria en contact intime avec une grande œuvre musicale, recherchée et très inspirée. C’est d’ailleurs probablement dans ce dernier qualificatif que réside sa connotation la plus spirituelle.

CHRONIQUES D’UN FAUX DOCTEUR DE CAMPAGNE

Le Mouton NOIR 1999-2015

Pierre Landry
Éditions Trois Pistoles

Ce recueil des Chroniques d’un faux docteur de campagne, de Pierre « Docteur » Landry, édité par Les Éditions Trois-Pistoles, a été lancé au début novembre 2015, en plein Salon du livre de Rimouski, dans une indifférence quasi-généralisée. Même le journal que vous avez entre les mains, qui les publie depuis 16 ans, n’en a pas parlé. Et pourtant. Non seulement celui qui est maintenant le vénérable et invétéré vétéran des pages du Mouton NOIR méritait un bien meilleur traitement — il a aussi publié un essai-anthologie de 400 pages sur ledit journal en 2005 et assumé la rédaction en chef par intérim à deux reprises —, mais son recueil est en soi un petit bijou. Mais nul n’est prophète dans son pays, dans sa région ou sa campagne. Alors voici donc — vieux motard que jamais — la recension de ce juteux ouvrage, qui ramène à la surface, pour notre plus grand plaisir, 16 années de chroniques ludiques, cyniques et mordantes, mais aussi d’une grande qualité littéraire.

Ce qui est particulièrement intéressant et agréable avec ce recueil, c’est qu’on peut l’ouvrir au hasard à n’importe quelle page et, après un petit ajustement d’une ou deux pages pour partir au début d’une chronique, on se tape un voyage dans le temps dans ce qui était l’actualité sociale, culturelle et politique de 1999, 2007, 2003, 2011, tout dépendant où vous posez le doigt. Des chroniques qu’on peut lire à la volée, quoi. De belles relectures pour ceux qui, comme moi, lisent assidument les chroniques du docteur depuis 16 ans et de belles découvertes pour ceux qui ne le font que depuis peu ou qui le feront désormais, suite à la dégustation qu’ils feront de ce livre.

Pour la petite histoire, disons que le Docteur Landry a vu pleuvoir — et neiger et grêler et… vous pouvez ajouter ici ce que vous voulez. Il sévissait jadis en tant que tiers de la Sainte-Trinité, que complétaient Plume Latraverse et Pierrot Léger. Après l’obtention d’une maîtrise en études littéraires à l’UQAM, Pierre Landry a posé ses pénates avec sa douce à Saint-Alexandre-de-Kamouraska où il a fait — et fait toujours — mille métiers : pépiniériste, marchand d’antiquités, « rédocteur »-en-chef, auteur, bien sûr, mais aussi pendant quelques années, directeur du Musée du Bas-Saint-Laurent de Rivière-du-Loup.

Voici ce que notre cher Boucar Diouf dit de Pierre Landry et de ses chroniques : « Ce docteur est un mouton noir parmi les médecins. Un des rares soignants à demander haut et fort à ses compagnons de refuser d’avaler passivement la pilule que les décideurs politiques et autres groupes d’intérêt proposent pour faire accepter l’innaceptable. Ses prescriptions sont une mine d’or pour tous ceux qui cherchent à élargir leur vision (…).

Voilà, à vous maintenant de goûter à la médecine du Docteur Landry, pour le plus grand bien de votre santé mentale.

Jacques Bérubé

jacques.hugb@gmail.com

Le Temps des scabs

Par Jacques Bérubé

Il y a quelque chose de pervers dans le tournant que tente de faire prendre le gouvernement Charest au conflit qui l’oppose aux centaines de milliers d’étudiants qui poursuivent leur GRÈVE contre une hausse abusive — 75 % en cinq ans — des frais de scolarité. J’écris GRÈVE en majuscules pour faire ma petite part afin de redonner son sens à ce mot que, dans le climat qu’installent depuis quelques semaines les tenants de la hausse, gouvernement, recteurs, entrepreneurs et étudiants, on tend à remplacer par « boycott des cours », comme pour prétendre que les étudiants ne bloquent rien et qu’ils sont les seuls perdants dans ce conflit.

« On ne doit pas céder le pas à l’intimidation », a affirmé le premier ministre, avant de se demander : « Dans quelle sorte de société on vit, si on accepte que des personnes sont intimidées parce qu’elles veulent aller étudier? » M. Charest a rappelé que « le Québec venait de faire un gros débat dans le domaine de la construction, on ne veut pas ça pour ailleurs, dans un autre secteur d’activité ». Ah oui? Un gros débat dans le domaine de la construction ? Où ça ? Quand ça ? Le seul débat dont nous nous souvenons, ce sont les incessantes pressions qu’ont dû faire des représentants de presque tous les secteurs de la société québécoise pour que le gouvernement Charest accepte enfin de tenir une enquête publique sur la corruption dans cette industrie.

Cette déclaration de Jean Charest, qui associe un mouvement de grève dûment entériné en assemblée à de l’intimidation, comme celle de la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, qui affirme que le mouvement étudiant n’est pas un mouvement de grève et que les étudiants qui veulent assister à leurs cours sont en plein droit de le faire, pue le déni du droit de grève. S’il y a intimidation quelque part, elle est politique et vient du gouvernement Charest. On peut évoquer l’intimidation politique quand un gouvernement décrète qu’il faut tout mettre en oeuvre pour que les étudiants, qui sont contre la grève et/ou pour la hausse des frais et qui, est-il utile de le rappeler, sont MINORITAIRES au sens de la démocratie, puissent, comme le dit la ministre Beauchamp, « exercer leur droit de recevoir leurs cours ».

C’est ce genre de pensée, plus affairiste et économique que politique, qui pousse des étudiants à déposer, sur une base individuelle, des injonctions qui visent à forcer, qui les étudiants en grève à cesser le piquetage, qui les institutions scolaires et les professeurs à reprendre les cours. Ce type de comportement, foncièrement anti-syndical et anti-collectiviste, pourrait-il s’étendre dans le milieu du travail ? Verra-t-on des travailleurs judiciariser des conflits de travail en poursuivant leurs syndicats pour casser un mouvement de grève légale et retourner au travail ? À lire et entendre les réactions de Jean Charest et de Line Beauchamp, il y a tout lieu de croire que c’est ce qu’ils souhaitent.

Diviser pour régner et, qui plus est, diviser par son plus petit dénominateur, l’individu, est bel et bien l’avenue que le gouvernement de Jean Charest et de Line Beauchamp ont choisie de prendre pour mâter la contestation qui n’est plus qu’étudiante, mais bien sociétale et nationale.

De partout, des voix s’élèvent et des mouvements sociaux se forment pour, entre autres choses, réclamer la démission de Line Beauchamp. Elle ne démissionnera pas, loin s’en faut, mais, au mieux, elle se retrouvera sous peu sur les banquettes de l’opposition.

Bon vent, madame!