La Guerre des Braves et le silence des agneaux

Par Jacques Bérubé

« LE MONDE EST DANGEREUX À VIVRE NON PAS TANT À CAUSE DE CEUX QUI FONT LE MAL,
MAIS À CAUSE DE CEUX QUI REGARDENT ET LAISSENT FAIRE.
»
– Albert Einstein

« QUAND L’ORDRE EST INJUSTICE, LE DÉSORDRE EST DÉJÀ UN COMMENCEMENT DE JUSTICE »
– Romain Rolland

Un peu partout au Canada, les Premières Nations se lèvent! Debout, la position la plus digne pour faire face à l’ennemi. Comme toujours, ils sont peu, ils sont faibles, mais ils sont debout, ensemble, côte à côte, coude à coude.

Les autochtones se lèvent pour faire face à un gouvernement qui, non seulement les ignore et les maintient dans un état de pauvreté perpétuelle, mais qui s’affaire aussi à mettre en pièces, en bafouant les règles d’éthique de la démocratie parlementaire, des lois et des règlements qui protégeaient les territoires qui sont les milieux de vie des autochtones, mais aussi des « visages pâles ».

Les Québécois sont réputés pour être, parmi les Canadiens, ceux qui ont le plus à cœur la protection de l’environnement. Le conflit qui oppose la ville de Gaspé à la compagnie Pétrolia — experte au moins autant dans l’exploitation et la production de larmes de crocodiles et de démagogie que de pétrole — démontre bien qu’il y a toujours des gens pour qui le droit citoyen passe avant le développement industriel et financier. Mais, sur d’autres plans…

Trop peu de gens se sont levés, comme l’ont fait les autochtones, pour dénoncer l’affaiblissement — quel euphémisme! —, de la loi sur la protection des eaux navigables infligé par les conservateurs de Stephen Harper, lors de l’adoption de la loi omnibus-mammouth-rouleau à asphalte C-45. Avec ces changements, ouvertement pro-industrie et anti-écologiste, seuls 97 lacs et 62 rivières, sur les dizaines de milliers du Canada, seront désormais protégés par la nouvelle loi. Quant aux berges du fleuve et aux fonds marins… Bienvenue Welcome au buffet all you can eat!

Si l’on peut comprendre la retenue, forcée, de plusieurs scientifiques, à qui le gouvernement fédéral impose une loi du silence lourde comme une chape de plomb, il faut questionner l’absence de prises de position fermes de la part du gouvernement du Québec et des organismes qui ont pour mandat de protéger le territoire contre les gros sabots de l’industrie et ses serviles valets, le gouvernement fédéral en première ligne.

Le silence des agneaux.
Ils devraient être debout, dignement, aux côtés des Premières Nations, face à l’ennemi.

En 2008, Richard Desjardins et Robert Monderie, après avoir déplacé les montagnes bureaucratiques et industrielles du monde forestier avec leur documentaire L’Erreur boréale, sorti en 1999, ont malheureusement fait chou blanc avec leur film Le peuple invisible, qui dénonce l’état d’extrême pauvreté dans lequel est maintenu le peuple algonquin, que l’on retrouve principalement en Abitibi. Même si Le Peuple invisible a montré, de façon brute et sans artifice et avec la même verve et la même dialectique documentaire que L’Erreur boréale, la situation des Algonquins du Québec, sédentarisés de force et coupés des services de base les plus essentiels sur un territoire où ils vivent depuis 6 000 ans, ce film a vite été relégué aux oubliettes.

L’Erreur boréale dénonçait une industrie qui dévorait sans vergogne la forêt, que les documentaristes avaient présentée fort habilement et judicieusement comme un capital qui appartenait collectivement à tous les Québécois. Le Peuple invisible montre la misère d’un peuple que les Québécois ne connaissent pas et qu’ils n’ont peut-être même pas envie de connaître. Richard Desjardins le dit : « la forêt est une industrie qui génère 20 milliards de dollars, mais les Indiens ne valent pas grand chose dans l’esprit des gens ». C’est là où le bât blesse!

On parle ici des Algonquins, mais les Cris et les Innus, pour ne nommer que ceux-ci, ne trouvent pas plus grâce aux yeux des Québécois et des Canadiens. Les récits d’horreur sur les sévices sexuels qu’ont subi les jeunes autochtones dans les foyers où ils ont été placés de force pour être « éduqués » et lessivés de leur propre culture dérangent un peu, mais « c’est pas nous autres qui leur a fait ça, ni nos parents, ni nos grands-parents, les coupables, ce sont les communautés religieuses ».

Le silence des agneaux. Je ne vois rien; je n’entends rien; je ne dis rien.

Les Premières Nations se lèvent pour réclamer plus d’autonomie pour leurs peuples, mais aussi pour s’opposer à un gouvernement qui s’attaque à un ensemble de valeurs qui a déjà constitué ce qui faisait du Canada un pays progressiste et respecté à travers le monde. Plutôt que d’entretenir des préjugés contre les Indiens, en jetant des regards biaisés sur des situations particulières comme la gestion d’une telle ou d’un tel autre chef, les Canadiens devraient leur emboîter le pas. Un rapprochement entre autochtones et non autochtones n’a jamais été aussi souhaitable.

Le mouvement Idle No More, lancé par les Premières Nations, est digne et non-violent. Les Canadiens resteront-ils indifférents, manière de dire à Stephen Harper Idle More and More ?

Plaçons une plume rouge à côté du carré rouge.

C-10 : Canada hargneux, revanchard, à reculons.

Par Jacques Bérubé

Je reproduis ici, sans aucun changement, le texte que j’avais écrit en juin 2001, pour ma chronique Le Stylo sauvage pour le journal Le Mouton NOIR.
Ce texte fut écrit en réaction au durcissement de la loi sur les jeunes contrevenants par le gouvernement fédéral, qui était alors libéral. La loi C-10 des conservateurs de Stephen Harper, qui vient d’être adoptée en première lecture est encore plus répressive et contraire aux principes de réhabilitation qui sont à la base des lois québécoises.

« On va t’en crisser une pour t’apprendre à plus être violent ». Voici la nouvelle approche canadienne auprès des jeunes contrevenants.

La loi du talion, la loi du plus fort, du père qui fait marcher à coups de claques en arrière de la tête. La Loi du Texas.

Que le Québec ait le plus bas taux de récidive chez les jeunes contrevenants de ce pays rabouté, disparate et dysfonctionnel ; que tous les intervenants sociaux et politiques — jusqu’à l’hyperopportuniste Jean Charest — aient fait front commun pour s’opposer au répressif canadian project ; rien n’a empêché le gouvernement de Jean Chrétien d’adopter une loi abjecte qui méprise les jeunes et va à l’encontre des principes de réhabilitation sociale.

Plus que jamais, le Canada vient de faire du Québec une société distincte. Et dans le même temps, le Canada refuse des visas à des comédiens rwandais invités au Festival de théâtre des Amériques tout en protégeant sous son sein chaud, à Québec, un criminel hutu ayant appelé au génocide des Tutsis. Et qui défend ce type ? Le pitre Guy Bertrand, l’un des nouveaux prêtres du Canada fédéral packing. Aujourd’hui, le Canada me donne mal au cœur.

L’approche québécoise

Laissez-moi vous raconter l’histoire de ce « jeune contrevenant » que j’ai beaucoup cotoyé dans la mienne, de jeunesse, un jeune ayant eu affaire à la justice du Québec des années 70. Comme tant d’autres, il avait commis, avec ses chums, certains larcins après une ou deux bières prises dans des bars qui ne demandaient pas les cartes et après quelques joints. De sorte qu’un matin, l’un de ses ex-entraîneurs au hockey avait sonné chez ses parents. L’ex-entraîneur était avec un collègue de travail; ils portaient uniformes et casquettes et ce n’était point des facteurs.

Il était tôt et le jeune ami n’avait pas discuté avec les policiers, trop pressé qu’il était de quitter le foyer familial avant que son père ne sorte de la douche. Il prit donc place à l’arrière de la voiture bleue et blanche et fut reconduit au poste par ses deux chauffeurs, après avoir cueilli deux autres chums au passage.

Arrivés, ils retrouvèrent trois ou quatre autres membres du « réseau démantelé ». C’est ainsi que les appelaient les nouvelles à la radio depuis le matin. Et comme aucun de la gang n’était ni dans l’autobus, ni à l’école ce matin-là, l’équation fut facile à faire… Bref !

Assis dans le hall d’accueil, dans l’attente de son « entrevue », il blêmit en voyant se stationner la voiture de son père. Une fois celui-ci à ses côtés, il fut surpris d’entendre : « je ne t’accablerai pas, je vais essayer de te comprendre ». Il rencontra ensuite Grégoire Mercier, le policier-éducateur.

Puis, toujours avec ses chums, plus chums que jamais, il avait passé les différentes étapes de la « cour juvénile » : procès à huis-clos, agent de probation — qui lui souriait chaque fois que le jeune le repérait dans sa « filature » —, rentrée à la maison avant dix heures tous les soirs, retour devant le juge et fin de l’histoire.

Puis, il avait décidé de s’amuser autrement. Car c’était bien de cela qu’il s’agissait. Et qu’il s’agit toujours dans 95 % des cas de criminalité chez les jeunes. Mais cela, encore faut-il être en mesure de le comprendre…

Ce jeune et tous ses chums font aujourd’hui partie des statistiques de la non-récidive. Ils ont tous fait leur chemin et pris des tournures différentes. Sans doute qu’aucun d’entre eux n’est riche aujourd’hui, mais aucun d’entre eux n’a de passé « criminel » autre que celui dont je vous ai entretenu.

Lui, mon jeune, je le croise encore souvent. En fait, il est toujours mon chum et est toujours rebelle un brin. Il a mûri, ne s’est pas trop assagi, a pris du poids — le poids de son âge, dit-il — et il a deux enfants.

Et aujourd’hui, le Canada lui donne mal au cœur.