Schizophrénie électorale

Dilemme : l’éviction ou les convictions
L’élection fédérale du 19 octobre 2015 donne du fil à retordre aux Québécois. Alors que dans le reste du Canada — ou ROC —, le vote se fera selon les même critères de choix que d’habitude, ici, au Québec, ce vote devra se faire pour plusieurs au terme d’une longue lutte intérieure entre les convictions et le désir de voir le réactionnaire en chef Stephen Harper et ses dinosaures bitumineux être envoyés aux oubliettes.

Au Québec, en temps d’élection plus particulièrement, la sempiternelle question de l’indépendance nationale provoque des débats entre amis, en famille, dans les médias et, phénomène plus récent mais bien en place, dans les réseaux sociaux. Mais dans cette élection, ladite question nationale est à la base de réflexions un brin schizophréniques qui font parfois virer les débats en foire d’empoigne.

La conquête, les patriotes, la lutte contre les conscriptions des deux guerres mondiales, la naissance et la montée du mouvement indépendantiste, le Front de libération du Québec, la loi sur les mesures du guerre, deux référendums, la non-signature d’une constitution rapatriée; ne l’ébruitons pas, mais l’histoire du Canada repose un peu beaucoup sur celle du Québec. Et cette histoire fait en sorte que les Québécois sont, de façon générale, plus intéressés à la politique que les Canadiens du ROC.

Le Bloc II ou The return of the son of
Le retour inattendu de Gilles Duceppe comme chef du Bloc québécois a semblé brouiller les cartes au début de l’été, mais la tendance lourde qui menace la survie même de ce parti semble être revenue aussi vite, si l’on se fie aux derniers sondages, qui placent le NPD largement en avance au Québec. (voir note en fin d’article). On se demande ouvertement comment le Bloc peut croire que la déconfiture à l’élection de 2011 — passé de 49 à quatre élus et perte de près de la moitié de sa base électorale traditionnelle — n’a été qu’une erreur de parcours et que les électeurs reviendront au bercail sans même que le parti n’ait fait une réflexion profonde sur ses objectifs et sur sa pertinence. Et nul n’en doute, une deuxième collision dans le mur sera fatale au Bloc.

La défaite du parti indépendantiste dans une élection fédérale sera-t-elle un dur coup pour la cause même de l’indépendance et, par la bande, pour le Parti québécois ? Bien des fédéralistes le croient, l’espèrent et se frottent déjà les mains. Philippe Cafouillard fourbit ses armes. Mais pour plusieurs, dont je suis, l’éventuelle disparition du Bloc pourrait plutôt marquer le signal du grand rassemblement des forces indépendantistes au Québec. Car c’est au Québec et non à Ottawa que se fera l’indépendance.

Un petit bloc dans le grand bloc
Sans tomber dans le cours d’histoire, rappelons que le Bloc québécois a été fondé par le déserteur conservateur Lucien Bouchard en 1991, suite à l’échec de l’accord du Lac Meech, tombé sous les coups de Jarnac des Trudeau père, Chrétien, Clyde Wells et autres libéraux notoires. Deux ans plus tard, en 1993, le parti indépendantiste québécois devenait, avec 54 élus, l’opposition officielle au parlement fédéral. Un vrai vaudeville!

Le Bloc québécois ne devait exister que quelques années, le temps que le Québec se rende à son second référendum en 15 ans et qu’il accède éventuellement à la souveraineté. On connaît la suite : le référendum de 1995 a été perdu par la peau des dents et le Bloc s’est installé à demeure à Ottawa, obtenant de 1993 à 2011 la majorité des 75 sièges au Québec, en réussissant à convaincre les votants, élection après élection, que ses députés seraient toujours les meilleurs défenseurs des intérêts du Québec.

Mais pour plusieurs Québécois, un vote pour le Bloc représentait leur seul geste nationaliste et les justifiait de ne pas aller plus loin pour la cause. Une fois leur x fait dans le petit carré, ils pouvaient s’asseoir sur leur steak ou pire, voter au Québec, qui pour les libéraux, qui pour la CAQ-ADQ — à prononcer à voix haute !

Puis, à l’aube des années 2010, les questions — et remises en question — ont commencées. Est-ce qu’en élisant des députés du Bloc à Ottawa, on ne se retrouvait pas à valider, voire à renforcer ce fédéralisme qu’on contestait en y participant pleinement et en étant ainsi partie intégrante ? Que pouvait réellement faire un parti condamné à l’opposition avec 45, 50 ou même 75 députés dans un parlement en comptant plus de 300 ? Et finalement la question cruciale : la cause de la souveraineté du Québec avait-elle évolué grâce à la présence de députés indépendantistes à Ottawa ? Poser cette question, c’est y répondre.

Le raz-de-marée orange
Et paf — ou plutôt plouf ! — en 2011, une vague orange a submergé le Québec, tanné du Bloc et charmé par le sourire et la bonhommie d’un Jack Layton qui était, sans qu’on le sache, en fin de vie. Cinquante-neuf néo-démocrates, soit plus que le meilleur résultat du Bloc — 54, en 1993 et 2004 — ont été élus au Québec. Certains de ces élus ont d’ailleurs eu la surprise de leur vie, tant ils croyaient n’être candidats que sur papier.

Mais malgré cette vague orange, le parti conservateur de Stephen Harper a pu former un gouvernement majoritaire, en raison de l’appui massif des provinces du ROC. Puis, les quatre du Bloc se sont retrouvés trois, puis deux.

Vote stratégique ou… schizophrénique ?
Aujourd’hui, un grand nombre d’indépendantistes québécois se croient investis du devoir de sauver des griffes d’Harper ce Canada dont ils voudraient tant se séparer… Mais n’est-ce pas vouloir prendre sur ses épaules des responsabilités bien trop grandes pour une carcasse de minoritaire. Pas plus qu’en 2011, un vote massif pour le NPD au Québec ne délogera les conservateurs si le ROC continue de voter pour eux.

Et advenant le cas où le Bloc québécois réussissait à faire élire une vingtaine de députés — ce qui multiplierait par 10 sa représentation à la dissolution du gouvernement — il n’en demeurerait pas moins qu’un tout petit bloc dans le grand bloc canadien.

Schizophrénique, je vous dis!

Le meilleur des pires ?
Comme un premier pas en ce sens a déjà été fait en 2011, le vote pour le NPD de Thomas Tom Mulcair semble être pour plusieurs la voie à suivre. « Mulcair est un ennemi de la souveraineté, il s’est battu contre en 1980 et 1995 », clament des bloquistes. Mauvais argument. Tous les candidats au poste de Premier ministre du Canada le sont et c’est normal, peut-on répondre. L’ADN de Justin Trudeau porte le trademark de celui qui a envoyé l’armée au Québec en 1970 et nul ne sait jusqu’où pourrait aller Harper-le-militariste.

« Mulcair est favorable au projet de pipeline Énergie Est qui passera partout sur le territoire du Québec, avec tout ce que cela comporte comme risques environnementaux, pour apporter le pétrole sale des sables bitumineux albertains jusqu’à un port pétrolier en projet à Belledune, au Nouveau-Brunswick, sur le bord de la Baie-des-Chaleurs. » Voici une vraie de vraie épine au pied du chef néo-démocrate. Son discours au Québec est différent de celui qu’il tient dans l’ouest au sujet de ces projets que rejette la majorité des Québécois. Double langage, double face ?

Autre tache au dossier de Thomas Mulcair : il a flirté avec les conservateurs en 2007 pour devenir conseiller de Stephen Harper et il a candidement voté pour Philippe Couillard, chef du gouvernement de l’austérité, qui fait si mal aux régions. Vous avez dit social-démocrate ?

Voter NPD? Peut-être, mais en sachant bien pour qui et pour quoi l’on vote.

La hargne bleue
Par ailleurs, trop de militants indépendantistes sont des adeptes du Crois ou meurs; hors de notre parcours, point de salut! On peut croire à l’indépendance, mais plus au Bloc. Des indépendantistes comme Roméo Bouchard et Francine Pelletier se font harceler et insulter avec hargne quand ils expriment publiquement leur intention de voter stratégiquement pour le NPD avec l’intention louable de sortir les conservateurs de Harper. La guerre fratricide n’est pas très digne et elle fait plus de tort à l’intérieur des troupes que chez l’adversaire, qui rigole dans sa barbe.

Alors, pour qui on vote..?
Quoi qu’il en soit, qu’il vote bleu Bloc ou orange NPD, le Québec n’aura pas une si grande influence sur le résultat de l’élection. L’argument qui dit que ne pas voter NPD pourrait permettre aux conservateurs de se maintenir au pouvoir ne tient pas la route. Le Québec rejette depuis longtemps déjà ce parti de la droite chrétienne ultra réactionnaire. Sans doute qu’il en restera quelques résidus dans la ville de Québec — pour ma part, une défaite de l’immonde Steven Blainey dans Lévis-Bellechasse serait une première victoire —, mais ce n’est pas ici que se décidera l’éviction ou non d’Harper et ses troupes.

Les conservateurs ont été élus depuis 2006 par le ROC, à eux de les sortir, si c’est vraiment ce qu’il veulent.

Sans vouloir reprendre un slogan d’une dernière campagne, votons avec notre tête ET avec notre cœur.

Ce long article vous a aidé à choisir pour qui voter? J’en suis fort aise, et je vous laisse deviner pour qui je voterai…

Jacques Bérubé

NOTE : Au début octobre 2015, un sondage Léger Marketing-Le Devoir indique une importante remontée du Bloc québécois au détriment du NPD.

« La vague orange qui avait submergé le Québec en mai 2011 est en plein reflux. L’affaire du niqab a littéralement ressuscité le Bloc québécois qui, contre toute attente, est maintenant le choix de 30 % des électeurs francophones, 3 points devant le NPD, qui se retrouve pris sous un feu croisé.»
Michel David, Le Devoir, 3 octobre.

C-10 : Canada hargneux, revanchard, à reculons.

Par Jacques Bérubé

Je reproduis ici, sans aucun changement, le texte que j’avais écrit en juin 2001, pour ma chronique Le Stylo sauvage pour le journal Le Mouton NOIR.
Ce texte fut écrit en réaction au durcissement de la loi sur les jeunes contrevenants par le gouvernement fédéral, qui était alors libéral. La loi C-10 des conservateurs de Stephen Harper, qui vient d’être adoptée en première lecture est encore plus répressive et contraire aux principes de réhabilitation qui sont à la base des lois québécoises.

« On va t’en crisser une pour t’apprendre à plus être violent ». Voici la nouvelle approche canadienne auprès des jeunes contrevenants.

La loi du talion, la loi du plus fort, du père qui fait marcher à coups de claques en arrière de la tête. La Loi du Texas.

Que le Québec ait le plus bas taux de récidive chez les jeunes contrevenants de ce pays rabouté, disparate et dysfonctionnel ; que tous les intervenants sociaux et politiques — jusqu’à l’hyperopportuniste Jean Charest — aient fait front commun pour s’opposer au répressif canadian project ; rien n’a empêché le gouvernement de Jean Chrétien d’adopter une loi abjecte qui méprise les jeunes et va à l’encontre des principes de réhabilitation sociale.

Plus que jamais, le Canada vient de faire du Québec une société distincte. Et dans le même temps, le Canada refuse des visas à des comédiens rwandais invités au Festival de théâtre des Amériques tout en protégeant sous son sein chaud, à Québec, un criminel hutu ayant appelé au génocide des Tutsis. Et qui défend ce type ? Le pitre Guy Bertrand, l’un des nouveaux prêtres du Canada fédéral packing. Aujourd’hui, le Canada me donne mal au cœur.

L’approche québécoise

Laissez-moi vous raconter l’histoire de ce « jeune contrevenant » que j’ai beaucoup cotoyé dans la mienne, de jeunesse, un jeune ayant eu affaire à la justice du Québec des années 70. Comme tant d’autres, il avait commis, avec ses chums, certains larcins après une ou deux bières prises dans des bars qui ne demandaient pas les cartes et après quelques joints. De sorte qu’un matin, l’un de ses ex-entraîneurs au hockey avait sonné chez ses parents. L’ex-entraîneur était avec un collègue de travail; ils portaient uniformes et casquettes et ce n’était point des facteurs.

Il était tôt et le jeune ami n’avait pas discuté avec les policiers, trop pressé qu’il était de quitter le foyer familial avant que son père ne sorte de la douche. Il prit donc place à l’arrière de la voiture bleue et blanche et fut reconduit au poste par ses deux chauffeurs, après avoir cueilli deux autres chums au passage.

Arrivés, ils retrouvèrent trois ou quatre autres membres du « réseau démantelé ». C’est ainsi que les appelaient les nouvelles à la radio depuis le matin. Et comme aucun de la gang n’était ni dans l’autobus, ni à l’école ce matin-là, l’équation fut facile à faire… Bref !

Assis dans le hall d’accueil, dans l’attente de son « entrevue », il blêmit en voyant se stationner la voiture de son père. Une fois celui-ci à ses côtés, il fut surpris d’entendre : « je ne t’accablerai pas, je vais essayer de te comprendre ». Il rencontra ensuite Grégoire Mercier, le policier-éducateur.

Puis, toujours avec ses chums, plus chums que jamais, il avait passé les différentes étapes de la « cour juvénile » : procès à huis-clos, agent de probation — qui lui souriait chaque fois que le jeune le repérait dans sa « filature » —, rentrée à la maison avant dix heures tous les soirs, retour devant le juge et fin de l’histoire.

Puis, il avait décidé de s’amuser autrement. Car c’était bien de cela qu’il s’agissait. Et qu’il s’agit toujours dans 95 % des cas de criminalité chez les jeunes. Mais cela, encore faut-il être en mesure de le comprendre…

Ce jeune et tous ses chums font aujourd’hui partie des statistiques de la non-récidive. Ils ont tous fait leur chemin et pris des tournures différentes. Sans doute qu’aucun d’entre eux n’est riche aujourd’hui, mais aucun d’entre eux n’a de passé « criminel » autre que celui dont je vous ai entretenu.

Lui, mon jeune, je le croise encore souvent. En fait, il est toujours mon chum et est toujours rebelle un brin. Il a mûri, ne s’est pas trop assagi, a pris du poids — le poids de son âge, dit-il — et il a deux enfants.

Et aujourd’hui, le Canada lui donne mal au cœur.

Comme des enfants ?

Par Jacques Bérubé

Je n’aime pas dire que des adultes agissent comme des enfants parce que les enfants ont souvent plus d’intelligence et d’humanité dans leur façon d’être que bien des adultes. Mais des enfants, en groupe surtout, ça peut aussi être très con. Méchant, revanchard et borné. En fait, comme chantait Paul Piché, les enfants, au fond, ça peut faire tout ce qu’on leur apprend.

L’histoire des appels frauduleux — 31 000 plaintes au Directeur d’Élections Canada — est à ce point en train de coincer les conservateurs, qu’ils en sont maintenant réduits à répliquer que ce sont ceux qui ont été victimes de ces basses manœuvres électorales, les libéraux, qui ont fait ces appels. « Celui qui l’dit, c’est lui qui l’est ! »

Les conservateurs réclament maintenant que les libéraux rendent publics leurs relevés d’appels téléphoniques pour la période où ont eu lieu les appels frauduleux. Mais vous pensez bien qu’il n’est pas question pour eux de fournir les leurs, parce qu’ils n’ont rien à se reprocher. Ils jurent qu’ils n’ont pas fait ces appels et les bons chrétiens, ça ne jure pas pour rien, de peur de brûler en enfer…

Certains conservateurs en viennent même qu’à prétendre qu’Élections Canada pourrait avoir fait tous ces appels et avoir fourni par erreur des mauvaises informations aux électeurs. En autant, bien sûr, que ces électeurs ne soient pas de bons conservateurs…

Dans quelques jours, ce sera Scott Gomez qui sera à la base de tout cela.

Bon, il faudra bien que je trouve un autre titre pour coiffer cet article, parce que, après tout, soyons justes, les enfants ont assez de jugement pour ne pas essayer de nous servir un tel tissu de mensonges.

Excusez-moi, les enfants!