Ma très chère fille,
Tu m’as dit sans détour — ce n’est pas ton genre, tu es ma fille! — que tu n’as pas aimé mes réactions et celles d’autres personnes de ma génération pendant la dernière campagne électorale quand nous avons vu les libéraux remonter dans les sondages pour finalement reprendre le pouvoir après seulement 18 mois de « purgatoire ». Pourtant, je n’ai exprimé mon désarroi et ma désillusion devant ce que je considérais comme une menace aux valeurs sociales et politiques que je défends depuis toujours de la même façon que je le fais souvent, avec dérision et cynisme, par des montages photographiques sur ma page Fesse de bouc. Et, chère fille que j’adore, admets-le, je n’ai pas été plus méchant que bien d’autres et je me suis sûrement plus amusé. Le vieux gauchiste que je suis, désabusé de la politique actuelle, si peu porteuse d’espoir et toute tournée vers le cocooning et les valeurs individuelles aurait pu faire pire.
Je récris ces mots, ma fille d’amour, pour que tu les saisisses bien : désarroi et désillusion. Auxquels j’ajouterai perte de confiance envers le peuple votant et déception totale devant son niveau d’intérêt et de compréhension des enjeux de notre société québécoise. Et le désarroi et la désillusion, ma chérie, c’est comme certains autres bobos, ça fait beaucoup plus mal dans la cinquantaine!!!
Tu as écrit que les gens de notre âge manquaient de respect dans leurs attaques contre les fédéralistes. Mais tu as aussi écris : « (…) peut-être que je penserais différemment si j’avais connu Lévesque ». Je te confirme que oui et j’ajoute que je suis touché et fier qu’à ton âge, tu puisses référer à René Lévesque et aussi à Jacques Parizeau que tu vois comme « un vrai et un grand ». Parce que les indépendantistes de mon âge sont tous filles et fils de Lévesque et de Parizeau. Ces deux-là, par des chemins différents, ont fait avancer plus que quiconque le Québec en portant toujours bien haut le projet d’un pays. Et ils étaient épaulés en cela par des Camille Laurin, Lise Payette, Bernard Landry et autres femmes et hommes politiques — et non politiciens — de haut niveau. Et nous y avons cru en ce pays en devenir qui s’appuyait alors sur un véritable projet de société : équitable, juste, humaniste et social-démocrate pour de vrai! Et comment que nous y avons cru!
Pour que tu comprennes bien ce qui a lentement et insidieusement mis en place ce qui cause aujourd’hui notre désarroi et notre désillusion, je t’écris en quelques mots ce que nous avons vécu dans les 40 dernières années.
15 novembre 1976 : René Lévesque et le Parti Québécois prennent le pouvoir de façon triomphale en battant les Libéraux de Robert Bourassa qui avaient pourtant fait élire, trois ans plus tôt, 102 députés sur 108. «Je n’ai jamais pensé que je pouvais être aussi fier d’être Québécois… que ce soir. On n’est pas un petit peuple, on est peut-être quelque chose comme un grand peuple!», nous lance alors René Lévesque de la tribune du Centre Paul-Sauvé, accompagné de nombreux nouveaux élus qui formeront avec lui ce qui est toujours considéré comme l’un des meilleurs gouvernements de l’histoire du Québec.
20 mai 1980 : Premier référendum, première défaite amère. J’avais 21 ans, plus jeune que toi aujourd’hui, et j’avais déjà la passion du pays du Québec au cœur depuis longtemps. 60 % de la population ont dit non à une trop longue question qui parlait plus de négociations que de pays, question qui avait été concoctée par l’un des bras droits de René Lévesque qui travaillait pour les services secrets canadiens depuis plus de vingt ans. Et à fourbe, fourbe et demi, le premier sinistre canadian Trudeau, qui avait fait emprisonner sans mandat plus de 500 personnes dix ans plus tôt avec la loi sur les mesures de guerre, avait faussement mis en jeu les sièges de ses fédérastes dépités du Québec en demandant aux Québécois de miser une autre fois sur le fédéralisme qu’il promettait de renouveler.
Petit baume de fierté au cœur en cette triste soirée : aux côtés des irréductibles Gaulois du Saguenay et du Lac-St-Jean, Rimouski a été l’un des six comtés du Québec où le OUI l’a emporté, avec 54 % du vote.
1982 : la Nuit des longs couteaux. Manipulés par le fou du roi de Trudeau, Jean Chrétien, les Premiers ministres des provinces canadiennes renient les ententes prises avec le Québec et signent en pleine nuit une constitution « renouvelée » à la sauce Trudeau-Chrétien qui affaiblit et isole le Québec. C’est le début de la fin pour René, qui démissionnera en 1985 et mourra subitement le 1er novembre 1987, laissant tout notre non-pays dans un deuil d’une tristesse inouïe. Même ton grand-papa, ma schnoupine, qui était fédéraliste à tout crin, m’avait alors avoué son chagrin de voir partir ce grand homme.
La mort du père du PQ incite Jacques Parizeau, qui avait quitté la politique en 1984, à revenir. Il prend la tête du parti en 1988. Le rêve renait et clairement, ce chef ne passera pas par quatre chemins pour nous y mener. Le PQ reprend le pouvoir en 1994 et Parizeau promet un référendum dès l’année suivante.
30 octobre 1995 : Deuxième référendum, campagne enlevante. Le chef du Bloc québécois Lucien Bouchard a rejoint Jacques Parizeau sur les tribunes du OUI qui mène invariablement dans les sondages. Paniqués, les Chrétien, Johnson et Charest prennent les grands moyens, faisant fi des règles. Pour « sauver » le Canada, tous les coups étaient permis : certificats de citoyenneté émis en grand nombre à la hâte aux nouveaux immigrants — « il faudra voter non, sinon… » —, « love-in » d’anglophones qui n’étaient jamais venus au Québec et qui n’en avaient rien à foutre mais qui ont profité des voyages gratuits offerts — dépenses non comptabilisées dans la campagne du NON— par Air Canada, Via Rail, all canadian etc — pour venir chanter faux la pomme aux Québécois le temps d’une brosse à Montréal sur le bras du fédéral. « We love you [dear fuckin’ frog], stay with us, we need you, please don’t separate! »
OUI : 49,4 % NON 50,6 %
54 000 votes de différence sur 4 671 000 votants.
N’ayant pu atteindre ce qui était son objectif ultime, Jacques Parizeau démissionne. Lucien Bouchard lui succède. Alors tranquillement, après ces coups durs, le projet a commencé à s’effriter et à n’être plus porteur des visions et façons de penser et de vivre qui constituaient sa base. Le Parti Québécois a commencé à dévier de l’objectif qui avait été le sien depuis sa création et qui aurait dû rester sa première raison d’être, l’indépendance du Québec. On nous serinait de bonne gouvernance, de déficit zéro, de conditions gagnantes, mais point de pays. On nous parlait bien de temps en temps de référendum, mais pas d’indépendance. Comme un charpentier qui nous parlerait de son marteau sans vouloir nous dire ce qu’il construira avec…
Puis Lucien Bouchard a quitté à son tour et Bernard Landry, ancien jeune péquiste devenu vieux de la vieille, a bravement pris la relève.
2003, désastre : Gros Jean comme de vent Charest et ses Rackham le Rouge prennent le pouvoir. Bonjour le favoritisme et la corruption érigée en système, au revoir les idées. Peu après, Bernard Landry a aussi quitté, victime de l’ère des spin doctors faiseurs d’images, pseudo professionnels de la stratégie et du marketing, venus en politique plus par ambition carriériste que par conviction. Conviction, ouate de phoque? Où achète-t-on cela ?
S’est alors amorcé la descente : le PQ a commencé à avoir peur de l’ombre de son option. Moins on en parlerait, mieux on se porterait. Lucien Bouchard était devenu un Père Fouettard se croyant plus lucide que le peuple et mangeait du Québécois pendant qu’un éphémère chef passait en coup de vent, le temps de quelques sourires et de plusieurs phrases creuses.
Et Pauline Marois est arrivée. On la surnomme la Dame de béton. Femme politique de grande expérience, mais très tiède souverainiste, elle réussit à devenir la première femme Première ministre du Québec. Durant 18 mois. Puis, elle s’effondre comme un viaduc de Montréal, aussi fait de béton.
Alors ma fille, voici où nous en sommes, en 2014 : le parti dans lequel nous avons cru trop naïvement et sans doute trop longtemps a lamentablement échoué à souffler sur les braises de la foi souverainiste, trop occupé qu’il était à vouloir le pouvoir et à parler de gouvernance et le vieux parti libéral est revenu au pouvoir, majoritaire de surcroit, élu par le bon peuple prêt à oublier pour acheter un semblant de stabilité — les vraies affaires! — à quel point Jean Charest avait malmené le Québec pendant neuf années.
Bien sûr, le PQ n’avait pas tout réglé d’un coup de baguette magique. Mais on n’a pas donné une bien grande chance au coureur. Tu me diras que c’est le PQ qui a décidé d’aller en élection en misant sur un piètre projet de charte plutôt que sur la souveraineté et tu auras raison. Mais maintenant, les jeux sont faits. Et pour longtemps.
Oui, Philippe Couillard se comporte dignement depuis son élection et il est infiniment plus respectable que son prédécesseur — la barre n’était pas haute —, mais je reste comme mes compagnons d’âge et de combat : amer, désillusionné et désabusé. Nous nous retrouvons non seulement orphelins d’un grand projet, mais aussi hébétés devant les tournures qu’a pris le courant politique dans les dernières années : droite conservatrice religieuse et réactionnaire au Canada et néolibéralisme pro-économie et valeurs individuelles au Québec.
Et les filles et fils de Lévesque et Parizeau que nous sommes vivons encore une fois un profond deuil; deuil du pays en lequel nous croyions et deuil des valeurs qui soutenaient ce grand projet.
Entrevue sur le sujet avec Jean-François Morency de Versus Radio : http://www.versusradio.net/downloads/files/156649/